Une pétition signée par 19 000 acteurs culturels demande que les artistes israéliens ne puissent être représentés à la plus grande foire d’art contemporain. Ou le symptôme d’une dérive idéologique inquiétante du monde culturel.
Le terme de génocide, que l’histoire rattache à la plus monstrueuse éradication d’un peuple dans l’histoire de l’humanité, est désormais brandi contre Israël. La dernière occurrence en date vient de toucher le milieu de l’art contemporain et la sacro-sainte Biennale de Venise. Le 26 février dernier, sous le nom de « Alliance Art Non Genocide » (ANGA), un groupe récemment constitué, se disant composé d’artistes, de conservateurs, d’écrivains et de travailleurs culturels du monde entier (sans que l’on sache précisément qui en sont les fondateurs) émettait une lettre ouverte appelant la 60e édition de la Biennale d’art de Venise, qui doit ouvrir le 20 avril prochain, à exclure Israël. Depuis, la polémique enfle. Dès le lendemain de la publication de cette lettre intitulée « Pas de pavillon du génocide à la Biennale de Venise », près de 19 000 signataires étaient déjà recensés, parmi lesquels une grande majorité d’inconnus, à l’exception de l’artiste Nan Goldin, de la politologue Françoise Vergès, du lauréat du Turner Prize Jesse Darling, de l’artiste américain d’origine juive Michael Rakowitz ou de Faisal Saleh, le directeur du Palestine Museum US qui a dit s’être vu refuser un projet collatéral à la Biennale… C’est triste à dire mais on n’est à peine étonné au vu des précédents qui ont déchiré le monde de l’art contemporain depuis l’attaque perpétrée par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023, à coups de lettres ouvertes, d’intimidations et d’annulations d’événements. Ainsi, de la lettre ouverte publiée le 19 octobre 2023 dans Artforum (entraînant le renvoi de son rédacteur en chef David Velasco) appelant « la libération de la Palestine » mais ne disant mot sur les atrocités du Hamas, signée par plus de 8 000 personnes, Nan Goldin en tête, alors qu’en réponse, le magazine israélien en ligne Erev Rav répliquait, avec notamment la signature de l’artiste allemande Hito Steyerl. En novembre, une biennale d’art à Istanbul retirait des œuvres d’artistes israéliens invoquant la crainte de « violences collectives » tandis qu’en Allemagne, l’artiste juive sud-africaine Candice Breitz a vu son exposition annulée par le Sarrlandmuseum au prétexte qu’elle a dénoncé le carnage en cours entre Israël et Palestine et les bombardements à Gaza. Aux États-Unis, les exemples sont multiples aussi. Dernièrement, c’est l’exposition de l’artiste palestinienne de 87 ans Samia Halaby qui a été brusquement annulée par l’Université d’Indiana. En cause : ses posts sur les réseaux sociaux relayant son indignation face à la violence à Gaza. La liste est longue, autant du côté des artistes palestiniens que du côté des artistes israéliens. L’art contemporain est ainsi pris en otage par la tension exacerbée du conflit, au point d’être instrumentalisé. Et la Biennale de Venise n’y échappe pas. En témoigne cette lettre ouverte nauséabonde écrite et signée par des artistes et des acteurs culturels dont on peut interroger la légitimité, d’autant plus contestable qu’il s’agit ici d’ « artistes » se levant pour censurer leurs pairs. Par ailleurs, elle prend pour appui la mise en accusation d’Israël pour acte de génocide, par l’Afrique du Sud le 28 décembre dernier devant la Cour internationale de justice (CIJ) de l’ONU, cette dernière ayant enjoint Israël à « prendre des mesures pour garantir que son armée ne viole pas la Convention sur le génocide » ce qui a été traduit dans la lettre par « la CIJ a émis des mesures provisoires mettant en garde Israël de cesser tout acte de génocide à Gaza », ce qui n’est pas la même chose… Pire, la lettre prend pour argument fallacieux l’équivalence qui existerait entre le comportement de la Russie envers l’Ukraine et celui d’Israël envers Gaza pour justifier d’une absence de pavillon. Rappelons, et c’est une réalité qui tend à être niée, que l’État Hébreu n’est pas l’oppresseur mais le pays attaqué. Ce que la lettre passe sous silence, ainsi que les otages israéliens, n’évoquant que les tragiques victimes palestiniennes. Et si les termes de génocide, crime contre l’humanité et apartheid sont utilisés pour qualifier Israël, à l’inverse, aucune mention n’est faite d’acte de terrorisme et du Hamas. « Toute représentation officielle d’Israël sur la scène culturelle internationale est une approbation de ses politiques et du génocide à Gaza » conclut cet appel au boycott. La Biennale de Venise, quant à elle, a réagi : « la Biennale de Venise veut préciser que tous les pays reconnus par la République italienne peuvent de façon autonome demander à y participer officiellement. Par conséquent, la Biennale de Venise ne peut prendre en considération aucune pétition visant à exclure Israël ou l’Iran » tandis que le ministre de la Culture italien a fermement condamné une lettre « inacceptable » et « honteuse ». Cette pétition ne faisant qu’utiliser l’art pour promouvoir une idéologie militante, propice à infuser l’antisémitisme, elle semble être le reflet de la dérive actuelle de l’art contemporain vers le sectarisme et l’intolérance, creusant de manière binaire le camp du bien et le camp du mal. Et tout ceci, sous couvert d’humanisme et de bien-pensance.