Génial dessinateur, rompu à divers genres, Claude Gillot laisse une œuvre captivante à voir au musée Magnin.
La perplexité que suscite l’œuvre de Claude Gillot (1673-1722), est en raison directe de la vive jouissance qu’elle procure. Le kaléidoscope de ses facettes, savamment éclairées chacune à la faveur de cette exposition où la sûreté de l’information le dispute à l’éloquence de la sanguine, à la force évocatoire du trait – ce kaléidoscope emporte dans le vertige de la fascination. Et pourtant, nul doute : partout, la marque d’une identique organisation psychique, la signature d’un même esprit. Mais à quoi tient qu’au sein de tant de variété se distingue ainsi l’unité d’un tempérament ? « Éloquence », « force évocatoire » : les vocables invoqués plus haut sont vagues, dissipons-en la vapeur. Ouvrons les pièces du dossier, commençons l’enquête.
Le natif de Langres, qui fut à Paris l’élève de Jean-Baptiste Corneille, envers les « dessins fantasques et tourmentés » (Hélène Meyer) duquel il a une dette, et qui sera plus tard le maître de Watteau, s’est donc diversement illustré, à commencer, c’est le cas de le dire, par l’illustration, apportant aux fables de Houdart de La Motte leur traduction visuelle. La coloration « païenne » de son imagination a aussi laissé des feuilles et des gravures merveilleuses : qu’on consulte sur ce point Les Fêtes des dieux, La Vie des Satyres ou Les Passions des hommes exprimées par les satyres. N’est-ce pas un peu de l’esprit panique qui souffle sur ces suites mythologiques ? Pullulement des figures, mordacité de la verve railleuse, décor sylvestre dont on sent qu’il n’est, justement, pas décor, mais bien berceau, milieu intime, animé, vital de ces créatures mythologiques. Serrons encore un peu l’analyse, songeons aux deux gravures de Sabbats qu’il a données. Jennifer Tonkovich parle avec une rare pénétration de la façon dont l’œuvre retentit des échos de l’époque, décelant dans ces gravures « la vision catholique et moderniste des rituels païens ». Mais frappe aussi ici l’insolite contraste qui oppose la solidité quasi sculpturale, comme pétrifiée, des figures au foisonnement imaginatif : on dirait d’un Bosch que paralyse… que paralyse quoi ?
Poursuivons. Autre composante décisive pour l’appréciation de l’œuvre de Gillot : les sujets tirés de la comédie italienne, qui fait alors florès. Netteté de la découpe du trait, allant vigoureux et résolu de la main – mais le lavis rouge donne le curieux sentiment d’un débordement, d’une révolte du sujet, d’une indocilité à la forme. N’est-ce pas aussi de la sorte qu’on pourrait élucider le goût de Gillot pour l’arabesque, cette discipline de la sinuosité, cette exubérance réglée ? Quant à la production religieuse de l’artiste, qui l’occupe surtout sur la fin, la Croix, cette vertébration, cette armature dans la variété des corps et des poses du drame sacré n’indique-t-elle pas une tendance analogue ? Telle semble donc bien être la pente propre de l’esprit de Gillot, la personnalité dont l’empreinte signe chaque tableau : variété, profusion, luxuriance et, les combattant dans une dialectique féconde, le souci de l’ordre.
Exposition Claude Gillot, Comédies, fables & arabesques, musée Magnin, Dijon, du 21 mars au 23 juin