Splendide documentaire que ce film de Sandrine Dumas. Un portrait d’une comédienne, Marilù Marini, libre et amoureuse des grands textes.
Sandrine Dumas signe, avec Marilù, le portrait tendre et amoureux d’une comédienne habitée par le théâtre, une comédienne qui fait corps avec son art. La filiation entre les deux femmes est soulignée par le dispositif qui met en scène la voix de la documentariste. Dumas s’efface physiquement pour mieux exister dans la voix et surtout questionner son modèle. Marilù a été sa mère en comédie, celle qui lui a donné naissance en tant que comédienne et elle revient sur ce partage de la scène à travers des négatifs de photographies de plateau, des négatifs très… positifs. Sans s’encombrer de données biographiques, le documentaire s’attache au jeu de la comédienne d’origine argentine Marilù Marini, 80 ans au moment du film, à ses élans et trajectoires en train, en voiture, en bateau, à ce corps tout entier dévoué à la scène. Sa liberté, elle la doit au théâtre. « L’endroit où tu es le plus libre au monde, c’est le plateau. » affirme-t-elle. Marilù vit dans le texte et par le texte, dans les mots des dramaturges : Copi, Beckett, Fassbinder, Shakespeare. Assoiffée de nouvelles expériences, elle se glisse dans la langue française, mais continue de rêver en espagnol. C’est son ADN, cet Espagnol qui, selon elle, « adhère à l’utérus », alors même que prendre une autre langue amène à développer un autre corps, un autre système musculaire et surtout à changer la tonalité de la voix. On n’est plus tout à fait le même lorsqu’on habite une autre langue, une autre terre, celle du monde-théâtre. Le documentaire s’amuse des facéties scéniques de celle qui refuse ce qu’elle nomme « la branlette intellectuelle » au sujet de son art. Ce qui l’intéresse c’est la manière dont le théâtre traverse son corps, oriente sa gestuelle, les moyens dont elle s’approprie le texte et la nécessité d’observer les gens au quotidien, dans la rue, les bus, les cafés. « Quand tu es comédien, tu travailles tout le temps. » Longtemps, Marilù a joué aux côtés d’Alfredo Arias avant de trouver sa voie, seule. La caméra de Dumas capte les entrées et sorties de scène, les coulisses, les loges, les perruques, les coiffeuses à ranger, les costumes et chaussures enveloppés dans du papier de soie. Le film mêle archives et documents pour proposer une réflexion sur le métier de comédien par le truchement d’un dialogue intime. Dumas, qui a abandonné les tréteaux pour passer derrière la caméra, s’empare du visage de Marilù, capte ses sourires, son goût pour le clownesque mêlé au tragique – du nez rouge jusqu’à Clytemnestre – sans omettre les ombres de la dictature argentine. Pour avoir osé porter, en répétition, une tenue dévoilant son nombril, Marilù a été emprisonnée. Elle revient sur les lieux, retrouve cette cellule où elle ne pouvait tenir debout. Dans un sourire, elle raconte qu’elle faisait des fleurs avec la mie de pain pour continuer. Un petit bout de femme dynamique, en baskets et longue jupe noire, filets dans les cheveux, qui interprète Winnie dans Oh, les beaux jours, en évoquant l’Argentine : « Quand tu es dans la merde jusqu’au cou, la seule chose qui te reste c’est de chanter… » Alors, chantons avec Marilù pour échapper à la pesanteur du monde. Un documentaire revivifiant !
Marilù, Rencontre avec une femme remarquable de Sandrine Dumas, documentaire sur et avec Marilù Marini, PioCo, Dean Medias, sortie le 24 avril