La Fondation Cartier se transforme pendant une semaine en un atelier foisonnant de créativité sous l’impulsion brillante de William Kentridge et Bronwyn Lace.

La Fondation Cartier  accueille en résidence un centre d’art pas comme les autres. Installé à Johannesburg, The Centre for the Less Good Idea invite depuis 2016 des artistes locaux et internationaux à créer de manière collective, en toute liberté, des spectacles vivants. Il offre aux plasticiens, écrivains, réalisateurs et danseurs le cadre pour se focaliser, ensemble, sur leurs créations. « Nous avons voulu créer des opportunités interdisciplinaires et collaboratives, un lieu pour jouer, expérimenter, prendre des risques, douter, échouer et essayer encore. Un safe space où rien n’est imposé, que ce soit en terme de forme ou de contenu », explique Bronwyn Lace, artiste plasticienne, performeuse et co-fondatrice du projet aux côtés de l’incontournable artiste William Kentridge. Le nom de cet incubateur artistique sonne comme un manifeste, « ou plus exactement comme un anti-manifeste » s’amuse Bronwyn Lace  Il est inspiré d’un proverbe tswana du Botswana traduit par l’écrivain, historien sud-africain Solomon Tshekisho Plaatje : « Si le bon docteur ne peut pas te soigner, débrouille-toi pour trouver le moins bon docteur ». « Nous ne parlons pas de mauvaise idée mais de moins bonne idée. Cette nuance est importante, précise Bronwyn Lace. Lorsque nous avons une bonne idée, à partir du moment où elle sort de notre esprit, où elle rencontre le monde, elle s’effondre; parce que le monde a toujours quelque chose à nous apprendre; parce que son expression n’est pas forcément comprise. Si on arrive à prendre le temps d’accepter cet état d’effondrement, quelque chose de vraiment intéressant et souvent de vraiment très beau arrive. C’est cela la moins bonne idée. Et cette idée secondaire, cet espace pour l’écoute et la création collective, est souvent plus douce et réelle. »

Workshops le jour, performances le soir 

Dans la fondation exceptionnellement vide d’exposition, la trentaine d’artistes sud-africains et des artistes européens invités pour l’occasion dont une chorale et la chorégraphe Betty Tchomanga, créent collectivement la journée. Le soir, le public est invité à découvrir leurs projets. « Nous travaillons à la croisée des disciplines, son, corps et films mais la production finale prend toujours une forme performative », explique Bronwyn Lace. Mardi 14 mai est le premier temps fort de la programmation, où tous sont présents. « William Kentridge y performera Defence of The Less Good Idea, une conférence dans laquelle il va essayer de dire ce qu’est le centre, tandis que des artistes l’interrompront », raconte Mélanie Alves de Sousa, responsable des Soirées Nomades et commissaire de l’évènement. Bronwyn Lace le confirme, « je vais perturber la lecture de William, essayer de le déstabiliser », empêchant ainsi l’artiste sud-africain de donner une définition précise du Centre. Les trois soirées suivantes accueillent au sous-sol des performances d’artistes semblent entrer dans des images d’archives projetées dans un petit théâtre d’illusion. Au rez-de-chaussée, des performances mêlent musique, voix et danses, dont Sizendlebe | We are Ears, une expérimentation musicale illustrant la complexité de la traduction. « Puis trois jours de festival, continue Mélanie Alves de Sousa, durant lesquels la fondation sera ouverte en journée et où seront organisés des workshops et rencontres auxquelles le public pourra participer », notamment autour de The Great YES, The Great NO, nouvelle création de William Kentridge. Cette dernière sera ensuite présentée dans le cadre du Festival d’Aix-en-Provence 2024 à la Fondation LUMA qui accueillera aussi une exposition personnelle de l’artiste engagé. L’occasion idéale de (re)découvrir ses œuvres puissantes qui marquèrent les esprits lors de Biennales de Venise, Documenta, et autres expositions d’envergure internationales; entre dessins au fusain animés et performances pluridisciplinaires portant sur l’oppression des peuples, l’importance de la transmission et la place de l’artiste dans la société.  

L’importance du contexte

« Leurs créations parlent beaucoup des histoires de chacun, de mémoire, d’archives, des migrations, de l’apartheid évidemment et des langues, nombreuses en Afrique du Sud, » indique Mélanie Alves de Sousa. « Les créations que nous produisons proviennent et parlent du contexte dans lequel elles ont été imaginées, précise Bronwyn Lace. Notre centre est situé dans un quartier central de Johannesburg où les entreprises ont fait faillite, où règnent le crime et la pauvreté, où nous sommes confrontés à de nombreuses coupures d’eau et d’électricité. Nous sommes très intéressés de tester la traduction de ce que nous avons créé dans le contexte de la Fondation Cartier. Qu’est ce qui est perdu ou mal traduit lorsque tu transposes une idée d’un langage à l’autre ? Nous allons traduire avec la musique, nos corps, nos émotions et nos langues. Nous livrez ainsi chaque jour est une expérience nouvelle pour nous. » Ainsi pour la quarantaine d’artistes africains et européens, il sera question de nouvelles rencontres humaines et contextuelles, de traduction mêlant une variété de langues, d’histoires personnelles et collectives, de prises de risque. Tandis que le public pourra découvrir, ressentir, des créations vivantes pluridisciplinaires, chantées, dansées, jouées, mélanges de cultures. A l’image de la Fondation Cartier et de ses Soirées Nomades, cet évènement d’une semaine est ouvert et transversal. Et Mélanie Alves de Sousa, de conclure, « dans le spectacle vivant, les pratiques collectives sont de plus en plus présentes. L’énergie du « tous ensemble » est galvanisante et importante de nos jours. Nous sommes plus forts à plusieurs. Quelle chance de pouvoir partager avec le public français ce projet passionnant. »

William Kentridge et Bronwyn Lace The Centre for the Less Good Idea à la Fondation Cartier Du 13 au 20 mai 2024.