Transfuge est partenaire du Concours de la jeune critique du Festival La Rochelle Cinéma 2024. A cette occasion, nous sommes heureux de publier la critique du 3e prix, Manon Grandières, autour de La Fille du puisatier de Marcel Pagnol
La Fille du Puisatier est confrontée au même dilemme que Angèle et Fanny quelques années plus tôt : comment nommer un enfant sans père ? Par le nom ne se joue pas seulement l’honneur d’une famille – et surtout des hommes – mais, plus importante encore, la reconnaissance. Ainsi, grâce à d’habiles dialogues, le grand-père, d’abord couvert de honte, aime l’enfant dès lors qui lui donne son nom.
Dans cette quête du nom, seul le présent compte. La parole officielle du maire effacerait la véracité des actes passés. Que le père soit Mazel ou un autre, l’enfant aura le patronyme de celui qui épouse Patricia. Le présent est la seule temporalité nécessaire, aussi la mise en scène de Pagnol lui donne toute son ampleur. Le film s’ouvre sur une succession de discussions et de réminiscences, mais jamais nous ne verrons le moindre flashback : il faut croire cette parole ici et maintenant. De rares mouvements d’accompagnement suivent les personnages, leur dialogue est toujours au centre du cadre. Le plan fixe règne en maître pour assurer la stabilité de chaque instant.
En parallèle de cette histoire de paternité, s’immisce la grande Histoire, à demi-mot. A l’origine, La Fille du Puisatier devait être une autre variation chère à Pagnol sur la fille-mère. Or, le film est rattrapé par la guerre. Les rares incohérences du scénario au sujet du départ de Mazel, au début pour l’Afrique, finalement pour le front, trahissent cette invitation importune de la guerre dans le récit.
Dans un film qui n’a de cesse de revenir sur le nom, jamais le verbe n’aura été aussi performatif. La guerre est déclarée. Plus tard : Il faut cesser le combat. Ces deux phrases, prononcées à la radio, sont mises en scène dans un même dispositif immersif et surprenant. Un travelling avant nous plonge dans une salle où tous écoutent en communion la radio, faisant cercle autour du poste. Le discours pose la réalité ; chacun acquiesce. Dans un film timide en mouvements de caméra, ces travellings suggèrent la force inarrêtable de la guerre. Comme si on ne refaisait la prise que pour un plan fixe, Pagnol semble ici se précipiter pour capturer un réel fugace. La dernière scène d’écoute du poste-radio, lors de l’intervention de Pétain le 17 juin 1940, transforme le film en un témoignage inédit, à la lisière du documentaire.
Pagnol aurait pu narrer le mélodrame intemporel des amours de jeunesse, des honneurs bafoués et des familles déchirées, avec pour sublime toile de fond, une Provence éternelle. Nulle surprise de revoir des têtes connues de son cinéma, à commencer par Fernandel, excellant comme d’ordinaire dans son rôle de gentil garçon naïf. Cependant, comme il l’a prouvé au long du film, Pagnol s’écarte des motifs attendus, des thèmes du passé, et, en cinéaste, saisit le présent.