La saison s’achève. Mouvementée, inquiétante, chaotique même. L’autre jour, j’ai vu mon vieil ami Michaël Prazan, au Café français, à Bastille. Il est un des meilleurs réalisateurs de documentaires aujourd’hui, son Einsatzgruppen, par exemple, a fait date. Il chronique pour l’excellent Franc-Tireur, et me dit le plus grand bien de ses confrères et amis Raphaël Enthoven et Caroline Fourest. Puis vient le dossier dont il est difficile pour nous de ne pas parler, Israël. Je le sonde pour en savoir plus. Il connaît bien le sujet, il avait réalisé un excellent documentaire sur Ariel Sharon, entre ombre et lumière. Il est triste, abattu et effaré du déchaînement antisémite dans notre pays, et me dit ne pas croire une seule seconde à une résolution du conflit par la création de deux états : les Palestiniens n’en n’ont jamais voulu, d’état, malgré de nombreux plans proposés. Une seule chose leur importe : la disparition d’Israël. J’acquiesce. Nous continuons notre discussion sur la nécessité de retourner le récit mensonger autour du présumé « génocide » palestinien. Les falsificateurs sont de sortie. On se dit qu’il faudrait qu’il y ait un documentaire pour démonter ce grand mensonge.
Le lendemain, je reçois des éditions Rivages deux livres de lui, La passeuse et Varlam, en version poche. Le premier, très émouvant, tiré d’un documentaire, évoque son père, dur à cuire qui avait toujours refusé de parler son enfance pendant la guerre. Là, finalement, devant la caméra de l’INA, il témoigne comme enfant caché. Michaël en profite pour dérouler une autobiographie familiale, les origines polonaises, les déportés, Pithiviers, Drancy, Auschwitz… Varlam est un petit bijou de livre, où le lecteur part sur les traces de Michaël Prazan et son équipe de tournage, eux-mêmes sur les traces de Varlam Chalamov, le grand écrivain du goulag. Récits de la Kolyma est un chef-d’oeuvre. Il nous emmène sur la route des ossements, aux confins de la Sibérie, où des millions d’innocents moururent en goulag pour extraire de l’or, de l’étain, des diamants ; fusillés, morts de faim, morts de froid, morts de maladie, morts de désespoir. On y croisera avec l’équipe les membres de feu Mémorial, un Sénégalais, humilié par la télé japonaise, des Russes qui malgré des années passées en Goulag, demeureront des communistes convaincus, des poètes russes assassinés, le comité juif antifasciste (CJA), Wallenberg etc.
Pourquoi ce titre, Varlam ? C’est une histoire dans l’histoire ; l’histoire d’un petit chat que Michaël a sauvé du froid quelque part en Sibérie. Il l’a ramené à Paris, et les pages qu’il lui consacre sont merveilleuses : une histoire d’amour naît entre eux. Il est possible que vous croisiez un jour Michaël sur les bords de Seine, promenant, en laisse, le petit Varlam.
Quelques jours plus tard, je suis allé au concert privé d’Arielle Dombasle, au Bœuf sur le toit. Son nouvel album, Iconics, des reprises de Marlene Dietrich, de Judy Garland et de quelques autres, est splendide. La diva brille. Ambiance agréable, LGBT friendly. Une faune de jeunes gens, la vingtaine, habillée avec soin, exubérante, entoure à présent la chanteuse. Le petit monde de Madame Arthur est là. Marc Lambron fait exception, concentré comme à la messe. Je croise Éric Dahan, lunettes noires et haut de jogging, as usual. Je lui demande ce qu’il pense de l’hypothèse pessimiste de Prazan que les Palestiniens n’ont que faire d’un état, et que seule la destruction d’Israël prévaut. Il acquiesce. « C’est une évidence, non ? »
Puis il me raconte comment le meilleur reportage qu’il ait jamais écrit avait été refusé à Libé. Un livre venait de paraître aux États-Unis, signé par Nation of Islam, Louis Farrakhan : The secret relationship between Blacks ans Jews. Une sorte de Protocole des Sages de Sion, version black. On est en 1991.
La thèse délirante consiste à dire que la traite des esclaves était dominée par les juifs. Le livre se vend, me dit Dahan, à des millions d’exemplaires, ce qui laisse présumer du pire sur l’antisémitisme de la communauté afro-américaine. À l’époque, le rappeur Ice Cube dit à qui veut l’entendre qu’il adore le livre. Le milieu du rap suit. Dahan l’interview ; Dahan se rend au centre Simon Wiesenthal de Los Angeles pour creuser son sujet et construire une contre-argumentation. Il envoie alors son papier à Antoine de Gaudemar, le rédacteur en chef des pages culture de Libé. Refusé : son fils adore le rap, ce serait un coup dur pour lui. De son côté, un universitaire d’Harvard, Saul S. Friedman, démontre point par point dans Jews and the American Slave Trade, que ce livre est un tissu de mensonges.
Deux autres tomes suivent : un paru en 2010, tendant à démontrer que les juifs ont spolié les biens des Noirs ; un en 2016, où il est affirmé que le Ku Klux Klan est financé par les juifs !
Entre-temps, grâce à un article d’Éric Neuhoff dans le Figaro littéraire, j’ai lu les nouvelles de Ry Cooder, Los Angeles Nostalgie, dans la belle collection de Jean-Claude Zylberstein, aux Belles Lettres. Cooder est connu pour avoir composé la musique de Paris Texas. On se croirait chez Chandler, on croirait voir apparaître à chaque page Humphrey Bogart, sa voix grave, son Whiskey Sour. Ambiance Key Largo, The Big Sleep, Le port de l’angoisse. Un régal.
J’ai aussi essayé de lire le dernier tome de Philippe Muray, Ultima Necat VI. Décidément trop noir pour moi, trop de fiel, trop de hargne, trop de désespoir. Une joie, un humour, une spiritualité, une humilité peut-être, une indulgence, devraient compenser la noirceur, sinon c’est l’impasse et la corde. Ou alors écrire au niveau élevé de Cioran ; ce qui n’est pas son cas.
Et une nouvelle saison commence : les livres de la rentrée littéraire nous parviennent peu à peu. J’ai déjà repéré le nouveau livre de Thibault de Montaigu, Coeur, chez Albin ; un premier roman d’un certain David Frèche, Un jour, il n’y aura plus de pères au Rocher ; le retour de Michaël Cunningham avec Un jour d’avril, au Seuil ; un nouvel Ellroy, ambiance Kennedy- Marilyn ; Emma Becker, aussi, un livre, semble-t-il, d’amour : aura-t-elle le Flore cette année pour Le Mal joli ? Et Olivier Guez, fera-t-il aussi bien que pour son Mengele, prix Renaudot vendu à 300 000 exemplaires, avec ce Mesopotamia ? Il y a aussi Mathieu Larnaudie et son Trash Vortex, ambiance héritage/ Fondation/Apocalypse. Enfin, un roman comique, celui d’Aurélien Bellanger, Les derniers jours du Parti socialiste, où l’auteur associe Macronie et fascisme : on salive d’avance.