Lisa Guez et la compagnie l’Oiseau Mouche revisitent le mythe de la Petite Sirène pour le jeune public ; Loin dans la mer est un conte d’aujourd’hui.
Loin dans la mer, mais au plus près du public. Le spectacle de Lisa Guez joué par la Compagnie l’Oiseau mouche nous place au plus près des acteurs, au gré d’un conte burlesque et mélancolique, qui repense avec grâce le spectacle pour le jeune public. Proches, nous le sommes d’abord physiquement : la salle sous la coupole du Théâtre de la Ville permet aux cinq acteurs de se tenir à quelques mètres des bancs où un public d’une dizaine d’années les accueille joyeusement. Ce qui permet à cette histoire de commencer par un échange entre comédiens et public : « avez-vous déjà aimé sans être aimés en retour ? » demandent-ils aux collégiens. Les réponses fusent, puis le silence, car nous avons compris qu’il s’agira, au cours de la pièce que l’on s’apprête à voir, d’un amour absolu et malheureux chez une jeune et candide héroïne. Et ce drame se déclinera en une succession de scènes vives, burlesques ou poétiques, autour de cette simple question ; jusqu’où peut-on aller par amour ? Ils sont cinq acteurs au plateau : deux hommes, trois femmes. Ils sont tous justes et d’une sincérité bouleversante. Deux s’avèrent exceptionnels par leur capacité de glisser d’un registre à l’autre : Marie-Claire Alpérine, qui incarne trois ou quatre rôles, dont une sorcière qui fera pâlir de crainte Cruella. Et Frédéric Foulon, qui incarne notamment une grand-mère très andersenienne. Mais ce qui est frappant en regardant la pièce, c’est la manière dont les cinq acteurs se soutiennent, et se répondent. Il y a dans cette troupe un lien perceptible à chaque instant. Peut-être est-il temps de préciser que la compagnie n’est composée que d’acteurs en situation d’handicap, mental ou psychiatrique. Cette singularité donne à leur jeu une forme d’urgence et d’évidence, qui n’échappe pas au public tout au long de la représentation.
Lisa Guez fait le pari audacieux de placer la fable dans un entre-deux mondes, gardant l’onirisme du conte d’Andersen, et la triste histoire de la jeune sirène qui par amour abandonne voix, famille et queue de poisson, mais en instaurant des scènes clownesques, et un jeu avec le public qui fonctionnent très bien. Ainsi ce moment qui voit les acteurs retenir de force le prince sur sa chaise pour lui reprocher d’être un salaud. Ou la fin qui offre à la petite sirène une destinée inattendue et superbe. Lorsque la pièce s’achève, les jeunes gens sont debout, et les cinq acteurs, visiblement émus, semblent ébranlés par ce succès. Est apparu dans cette salle ce que devrait faire naître toute pièce destinée à la jeunesse : une émotion profonde et collective.
Loin dans la mer, mise en scène Lisa Guez, Cie L’Oiseau Mouche, Théâtre de la Ville Sarah Bernhardt La Coupole, jusqu’au 2 juin.