Le festival ManiFeste se poursuit à l’Ircam, déployant un panorama de la musique contemporaine. Ce mercredi 12 juin, nous avons pu assister à Poetica, de Chaya Czernowin, compositrice israélienne d’une finesse frappante.
Un palais de la mémoire. C’est ainsi que Chaya Czernowin définit ce Poetica présenté à l’Ircam, dans une salle comble. Beaucoup de mélomanes, jeunes et moins jeunes, de différentes nationalités, attendaient ce moment précis du festival et leur impatience était palpable avant le début du concert. Frank Madlener, directeur des lieux, avait d’ailleurs déclaré à Transfuge, il y a quelques semaines, que Chaya Czernowin était à ses yeux « une compositrice importante, car elle est vraiment capable de cristalliser un moment dans le son ». C’est en effet ce que nous avons pu ressentir mardi soir, lorsque les Percussions de Strasbourg, dont il faut saluer la virtuosité et le goût pour les nouvelles aventures, ont entamé ce Poetica : une volonté de ralentir le temps, d’en saisir les nuances d’un esprit qui se donne au monde, et s’en retire. Composée en trois parties, l’œuvre se fonde sur les percussions, ils sont quatre percussionnistes, sur un trio de cordes électronique et un soliste dont la voix, enfin plutôt le souffle se décline, comme échappé d’un être endormi. Ou plongé dans un voyage mémoriel. Nous sommes bien là, dans le lieu des associations poétiques, et de l’inconscient. La compositrice évoque un palais à trois étages, qui s’échafauderaient par les haut-parleurs, dans le premier la voix et les percussions trouvent un équilibre qui est ensuite détruit, puis dans le deuxième se consacre au mouvement et à l’oubli, et enfin, dans le troisième, le son se déploie et semble parcourir toute la salle, pour nous mener vers un ici, et un ailleurs. Cette construction doit être connue avant d’écouter l’œuvre afin d’en apprécier les nuances. Mais lorsque c’est le cas, il est possible de saisir de ce que la musique de Czernowin raconte avec subtilité, travaillant les sons jusqu’à l’imperceptible. Elle dit elle-même viser une « sismographie très sensible au seuil de notre perception ». Elle qui a pu être comparée à Wolfgang Rihm ou à Xenakis, cherche à toucher l’auditeur de manière physique, d’où l’importance du souffle dans cette œuvre, pour faire vivre la présence du passé. Et si nous n’avons pas forcément l’habitude d’une telle musique, elle nous a permis d’entrer dans une profonde méditation qui s’achèvera par les applaudissements nourris de la salle pour la compositrice, venue de Harvard où elle enseigne, pour saluer le public français, et savourer son succès.