D’une puissance sans pareille, le mouvement terroriste chiite, bras armé de l’Iran, peut embraser le Moyen-Orient et bien au-delà. Anatomie d’une bombe à retardement.
Trois semaines après les attaques terroristes et les pogroms antisémites perpétrés le 7 octobre 2023 par le Hamas en Israël, les regards, inquiets, se tournent vers le Liban. Hassan Nasrallah, le charismatique chef du Hezbollah, sort de son silence : non, son organisation n’entrera pas en guerre contre Israël… car elle l’est déjà. Précisons, elle l’est ontologiquement (sa vocation étant la destruction totale de l’État hébreu). C’est en soulignant cette pirouette rhétorique, (provisoirement) rassurante, que le grand reporter Christophe Ayad, qui a couvert le Proche-Orient durant deux décennies, ouvre son livre aussi précis que captivant, Géopolitique du Hezbollah. Sans fioriture et loin de toute idéologie, le journaliste dresse un tableau clinique de ce mouvement, à la fois parti politico-religieux, milice surarmée et groupe terroriste.
Au faîte de sa puissance, le Hezbollah est « l’acteur non étatique le plus armé au monde ». Il dispose de 150 000 missiles et roquettes de toutes portées, capables de frapper n’importe quel point de l’État hébreu. Nasrallah pourrait mobiliser 50 000 combattants, dont l’élite a été formée en Iran. Voilà le péril existentiel qui pèse sur Israël et la région. Car l’organisation terroriste, « État au-dessus de l’État » au Liban, pays à genoux et en lambeaux économiquement qu’il contrôle désormais totalement, est, aussi, le bras armé et le bouclier de Téhéran. Selon Ayad, une intervention d’envergure d’Israël au Sud-Liban ou une attaque massive contre le programme nucléaire iranien (qui est la priorité absolue du régime des mollahs) engendrerait inéluctablement une « guerre totale ». Superflu de préciser que l’Iran, comme les États-Unis, y prendrait part. Depuis sa création au milieu des années 1980, le Hezbollah s’est structuré en organisation complète et complexe. Il dispose d’une armée, d’une myriade d’associations caritatives et de ses propres médias. Sa chaîne de télévision, Al-Manar, irrigue les paraboles de haine. En 2004, le Conseil d’État interdit sa diffusion en France au motif de « propos à connotation antisémite », un doux euphémisme. Christophe Ayad décrit encore cette singularité unique au monde, le « Parti de Dieu » est présent sur les cinq continents. Aux États-Unis où il est actif dans la contrebande de cigarettes, en Amérique Latine et en Afrique de l’Ouest, organisant un très lucratif trafic de drogue vers l’Europe. Ses milices sont encore présentes en Asie du Sud-Est et 900 militants en Allemagne.
Lors d’une guerre ouverte en 2006, Tsahal n’est pas parvenue à atteindre son objectif d’éradiquer le Hezbollah malgré sa supériorité technologique et 22 tonnes de bombes déversées sur le QG, sis à Beyrouth. Une étincelle pourrait donc ouvrir les portes de l’enfer, prévient Ayad. À défaut de conflit global, le mouvement chiite pourrait, aujourd’hui, « renouer avec les attentats non revendiqués ». En 1985-86, il n’en perpétra pas moins de 14 à Paris…
Géopolitique du Hezbollah, de Christophe Ayad, PUF, 216 p., 15€