De nouvelles tendances littéraires se profilent à la rentrée de septembre ; elles reflètent notre époque avide d’échappatoires et nostalgique d’un art de vivre disparu

Pour la deuxième année consécutive, le magazine Livres Hebdo a réuni les professionnels de l’édition dans la chiquissime librairie 7L, fondée en 1999 par Karl Lagerfeld au 7 rue de Lille, à l’endroit même où se trouvait sa bibliothèque personnelle. Au cours de quatre tables rondes animées par Laure Adler et Jacques Braunstein, douze éditeurs des plus prestigieuses maisons d’édition françaises ont évoqué de nouvelles perspectives éditoriales ainsi que leur sélection personnelle parmi les quelque 459 romans qui paraîtront entre août et septembre, soit à peu près autant que l’an passé.

Le traumatisme de la guerre donne matière à plusieurs récits autobiographiques qui entrent en résonance avec le contexte international, qu’il s’agisse de s’interroger sur les séquelles d’un conflit, comme celui du Rwanda dans Jacaranda, le second roman prometteur de Gaël Faye (Grasset), ou d’assurer le devoir de mémoire dans des pays où les victimes ont été muselées, comme dans Houris, le roman très attendu du franco-algérien Kamel Daoud (Gallimard). Mesopotamia d’Olivier Guez (Grasset), l’épopée romancée de l’archéologue, diplomate et espionne britannique Gertrude Bell, offre un panorama historique qui éclaire rétrospectivement la situation au Proche-Orient, en Irak notamment. D’autres romanciers reviennent sur des épisodes militaires plus singuliers, comme Jean Rousselot dans Cavalier du ciel (Julliard), au sujet des débuts de la chasse aérienne, et Thibault de Montaigu dans Cœur (Albin Michel), l’histoire de son aïeul, capitaine de hussard fauché dans une charge de cavalerie en 1914.

Les faits divers relatés par des chaînes de télévision d’information comme BFMTV et CNews sont une source d’inspiration romanesque abondamment exploitée depuis des lustres, plus souvent pour le pire que pour le meilleur. La démarche intime de l’auteur structure ce puissant ressort narratif, comme dans Magali de Caryl Férey (Robert Laffont) qui raconte un féminicide. Des dispositifs plus classiques, non moins efficaces, à commencer par la quête d’une figure paternelle, se prêtent à la mise en scène d’un drame personnelle. Dans Le Silence des ogres (Calmann-Lévy), Sandrine Roudeix explore le vide causée par l’absence d’un père, tandis que Julia Deck déconstruit le rapport mère-fille dans Ann d’Angleterre (Seuil), et Romane Lafore, le destin contrarié d’une jeune catholique stérile dans La Confession (Flammarion). Déchiré par l’exil auquel le condamne un retour impossible au Maroc, Abdellah Taïa s’interroge, dans Le Bastion des larmes (Julliard), sur le rôle que joue le passé qui nous traverse comme une fiction sans cesse amendée et réinventée. Indémodables, universels et atemporels, les romans sur la nostalgie — L’Impossible retour d’Amélie Nothomb (Albin Michel) —, ou l’amour — Le Mal joli d’Emma Becker (Albin Michel) —, comptent toujours parmi les valeurs sûres des programmes de la rentrée.

Pour Olivier Nora, PDG de Grasset, alors même que la dysphorie de genre se répand dans la société, les frontières entre les genres littéraires s’estompent ; aussi les livres qu’on qualifie de romans sont-ils davantage que des romans : à l’autofiction viennent s’associer la poésie et l’essai, tandis que le documentaire et le journal intime s’enrichissent de réflexions philosophiques. Plusieurs ouvrages entrent dans cette catégorie qui n’en est pas une, comme Il neige sur le pianiste, le récit de la plasticienne écoféministe Claudie Hunzinger (Grasset), ou encore Mémoires sauvées de l’eau de Nina Léger (Gallimard), une enquête sur la construction d’Oroville pendant la ruée vers l’or, aux dépens des Amérindiens, dans le contexte du réchauffement climatique. Se gardant bien de donner dans le biopic, Sébastien Lapaque imagine, dans Échec et mat au paradis (Actes Sud), la conversation qu’auraient pu avoir Stefan Zweig et Georges Bernanos au Brésil où ils s’étaient tous deux exilés au début de la Seconde Guerre mondiale. Quant au Sentiment des crépuscules de Clémence Boulouque, c’est une extrapolation sur la rencontre entre Stefan Zweig, Sigmund Freud et Salvador Dalí qui eut réellement lieu à Londres en 1938.

Isabelle Pandazopoulos, elle, articule un récit en spirale autour d’une figure historique dans Les Sept Maisons d’Anna Freud (Actes Sud), la fille lesbienne de Sigmund Freud, pionnière tourmentée de la psychanalyse pour enfants. Le merveilleux n’est pas en reste avec Dors ton sommeil de brute de Carole Martinez (Gallimard) et La Méduse noire de Yann Queffélec (Calmann-Lévy), ni le roman polyphonique, avec Un Furieux silence de Charlotte Dordor (Julliard), auxquels il faudrait ajouter des romans savoureusement roboratifs comme Le Syndrome de l’Orangerie de Grégoire Bouillier (Flammarion) et Les Derniers Jours du Parti socialiste d’Aurélien Bellanger (Seuil).

La plupart des éditeurs tablent sur cinq ou six auteurs à la rentrée, dont la moitié au moins déjà reconnus. Ils conviennent tous avec Somerset Maugham qu’il n’y a que trois règles pour écrire un roman. Personne ne les connaît, hélas.