La 44e édition de Montpellier Danse a débuté dans un cosmopolitisme des corps en quête de leur propre vérité, de Robyn Orlin à Josef Nadj et autres Arkadi Zaides ou Saburo Teshigawara.
La danse est cosmopolite, les danseurs emmerdent le … A Montpellier Danse, selon la volonté de son directeur Jean-Paul Montanari un carrefour mondial, les premiers jours de cette édition si particulière avaient un goût de paella au mafé. A moins que l’on préfère un bobotie sud-africain accompagné de bortsch ukrainien. Chez Robyn Orlin, un vrai goût de fête et de libération, avec le Garage Dance Ensemble d’Afrique du Sud. Rien de moins quand Marta Izquierdo Muñoz – Madrilène aux boucles courtes et flamboyantes de leur couleur orange – transforme une équipe de Roller Derby en artistes chorégraphiques, sur rollers bien sûr. Les yeux pétillants, elles apportent un esprit d’increvables adolescentes. Pour sa nouvelle création, Orlin s’est rendue dans une région improbable de son pays natal, dans la petite ville perdue d’Okiep, dans la région frontalière avec la Namibie, où un océan de fleurs éclot chaque année après les pluies d’hiver. Et la danse fleurit dans un ancien garage sous la direction de deux enfants d’Okiep, jadis introduits à la danse contemporaine par Robyn Orlin !
Les habitants de cette région, le Northern Cape, sont appelés Colored People, ce qui désigne celles et ceux issus d’unions, souvent forcées sans doute, entre colons et femmes locales. Le résultat : Sous l’Apartheid, leurs descendants n’étaient pas assez blancs pour être considérées comme des êtres humains. Et après, pas assez noirs ! Et voilà Orlin qui arrive pour leur proposer une pièce évoquant leur impasse sociétale, les violences au quotidien, l’histoire coloniale etc. Et eux de s’y refuser, demandant qu’on leur permette de juste laisse éclater leur joie de vivre pour dire qui ils sont, de s’affirmer aujourd’hui et par eux-mêmes, libres et un brin queer. Aussi cette pièce pour quatre danseurs et une comédienne face au duo musical uKhoiKhoi se mue en une orgie de couleurs, et répond joyeusement à la question posée dans son titre : …how in salts desert is it possible to blossom… Comprenne qui peut, ça marche !
Le chaman Nadj et le maître Teshigawara
Et la Movida ? Marta Izquierdo Muñoz a conçu son ROLL dans l’esprit loufoque du roller derby, ancien rite sportif masculin et américain, puis récupéré par le mouvement LBGTQIA+, tout aussi friand de couleurs et de joie de vivre. Les deux font bon ménage, entre elles comme avec Rush de Mette Ingvartsen, où l’incroyable danseuse, comédienne et chanteuse Manon Santkin traverse l’œuvre de la chorégraphe danoise entre extase, pleurs, terreur et plaisir. Ce grain de folie, si porteur d’optimisme, a pu découvrir à Montpellier sa facette masculine, en plus mystérieux. Dans Full Moon, Josef Nadj, Serbe de culture hongroise – et plutôt français en tant que chorégraphe – conjure les esprits dogons et les fait valser avec ceux de sa Voïvodine natale, incarnés par huit danseurs africains. Le chaman de la cérémonie, c’est Nadj en personne, sous ses masques variés, où se rencontrent l’Europe de l’Est et l’Afrique de l’Ouest. Sur la pleine lune de juin à Montpellier, à la première mondiale, le retard n’était que d’une nuit.
Ce foisonnement des imaginaires tomba sur un réel plutôt inquiétant, dans une sorte de calme avant la tempête, où l’on tenta de remettre aux calendes grecques l’inéluctable menace, sans savoir à qui adresser, collectivement, son cri d’épouvante. Car voilà le titre de la première table ronde, Les institutions face aux dynamiques politiques, qui semblait adresser de front la question du nationalisme politique à venir. Et pourtant, on colla aux thématiques prévues avant l’acte fatal du désassemblage national, louant la décentralisation d’après-guerre. Ce qui est fort réconfortant dans un affrontement d’avant-guerre (nucléaire ?).
Alors, le paysage de la danse ressemblera-t-il bientôt à celui de Tchernobyl ? Forêts et méandres, solitude et décomposition… Arkadi Zaides est né à Gomel, en Biélorussie, tout près des frontières avec l’Ukraine et la Russie. Et donc à portée immédiate du réacteur fatal. Comment a-t-il vécu la période de non-retour (avant des dizaines de milliers d’années) ? Son récit fait fil rouge dans The Cloud qui commence comme une autobiographie assistée par une intelligence artificielle qui, chargée de générer des images apparemment authentiques de la catastrophe nucléaire, traverse la ligne de front entre le vécu et la fiction. Dans l’univers du Cloud informatique, tous les récits se valent, de la vita réelle de Zaides aux pires mensonges gouvernementaux at aux théories de complot.
Et finalement, un danseur vêtu d’une authentique combinaison de « liquidateur » – ils étaient 600,000 à finir morts ou malades – s’empare du plateau. Se fondant dans sa combinaison couleur olive, son corps semble se dissoudre comme sous l’effet des protons. Et quand il l’ouvre à nouveau, on se surprend à rêver que ce soit Saburo Teshigawara – dont on avait vu, la veille, la création de Voice of Desert – qui en sorte. Le Japon aussi a connu son réacteur en folie, mais ce n’est pas ici le sujet du maître japonais, comme toujours en compagnie de sa complice Rihoko Sato. Par contre, son corps-roseau qui se fond dans le vent et son jeu d’acteur aux confins de l’expressionnisme (et peut-être l’âge qui apporte son grain) font de plus en plus penser au butô, la fameuse danse des ténèbres shintoïste que d’aucuns rattachent à l’effet de l’horreur d’Hiroshima et Nagasaki. Entre éclats de couleurs pour un avenir meilleur et leçons du passé, Montpellier Danse refuse de choisir. Et c’est bien.