Hauser & Wirth expose à Zurich les dernières œuvres de l’artiste américain, chantre de l’expressionnisme abstrait reconverti à la figuration.
C’est à l’un des plus grands peintres américains que la galerie suisse Hauser & Wirth rend hommage à Zurich. Organisée en collaboration avec Musa Mayer, la fille de l’artiste et Présidente de la Guston Foundation, l’exposition qu’elle consacre à Philip Guston (1913-1980) explore les motifs énigmatiques tout comme les formes instinctives nées de ses dernières œuvres, lesquelles ont continué à évoluer jusqu’à sa mort en 1980. Exposées pour la première fois à la Marlborough Gallery de New-York en 1970, les critiques avaient alors dénoncé l’éloignement brutal de Guston hors des sentiers de l’abstraction au profit d’une imagerie sombre et cartoonesque, peuplées de fantômes intimes.
Guston est né en 1913 sous le nom de Phillip Goldstein, de parents juifs ukrainiens émigrés au Canada puis en Californie, où son père se suicide quand il a 10 ans. Devenu l’un des peintres abstraits les plus célèbres des années 50 et 60, aux côtés de Mark Rothko et de son ami d’enfance Jackson Pollock, il a pour référence les maîtres du Quattrocento tout comme Giorgio De Chirico, ainsi que les peintres muralistes mexicains tels que Rivera, Siqueiros et Orozco. Ses premières œuvres abordent les thèmes du racisme en Amérique et des guerres à l’étranger. Artiste complexe s’il en est, Guston s’inspirait du monde cauchemardesque qui l’entourait pour créer des visions âpres et saisissantes, jetant alors un pont entre son histoire personnelle et celle de l’histoire. Le peintre s’est ainsi souvent interrogé sur le rôle que l’art pouvait jouer face à la violence et à la polarisation des opinions aux États-Unis, comme en témoignent son combat contre l’organisation suprémaciste blanche américaine du Ku Klux Klan et ses nombreuses caricatures. Bien qu’il ait cessé de produire un art directement politique dans les années 1930, il est tout au long de sa vie resté engagé.
Au cours des bouleversements sociaux et politiques de la fin des années 1960, Guston s’est ainsi montré critique à l’égard de l’abstraction. Dès 1966, l’artiste joue d’une figuration simple et satirique, proche de la bande dessinée, laquelle apparaît sous l’aspect de motifs récurrents qui l’éloignent de l’expressionnisme abstrait. La vie quotidienne du peintre, ses souvenirs ainsi que ses difficultés inondent ses tableaux. Painter’s Forms (Formes du peintre) figure alors, en guise d’autoportrait inhabituel, une tête qui vomit des objets ou les aspire. Dans de nombreuses toiles de cette période, Guston commence également à se représenter comme un cyclope aux yeux écarquillés et représente des tas d’objets – qu’il appelle parfois « crapola » ou « junk » – au sein de compositions oniriques, toutes pourpre et écarlates, où le trivial côtoie le scabreux. « Je n’aime vraiment que l’étrangeté, » écrivait-il alors au sujet de ces désordres volontaires où se juxtaposent bouteille vide, semelles, boîte de conserve, mégots et autres éléments sans aucun lien apparent, indices d’un monde hirsute, à la fois intensément beau et violent.
Philip Guston – Singularities Jusqu’au 7 septembre chez Hauser & Wirth Zurich, Limmatstrasse.