Nathalie Obadia présente David Reed, un des plus grands peintres abstraits. Plongée vertigineuse dans les mystères de la peinture.
C’est très beau. Mais ce n’est pas que cela. C’est addictif. Aussi addictif que lorsqu’on regarde le puissant ressac écumeux des vagues. Mais pourquoi ces immenses abstractions sont-elles si piégeuses pour notre regard ? Il y a d’abord l’aspect gestuel qui saute aux yeux. Cependant, on ne peut parler uniquement d’expressionnisme abstrait ou de post-minimaliste. S’il a été influencé par ces deux courants, l’artiste américain les transcende. Il n’est pourtant pas non plus un pur conceptuel malgré le rapport au protocole qu’il entretient. David Reed est plus subtil. D’une certaine manière, il se place entre Cy Twombly – un de ses mentors visuels avec Philip Guston qui a été son professeur – et Christopher Wool – un de ses disciples. Adepte de l’énergie du geste et de sa dimension scripturale, il se fait maître de l’éclaboussure, de la giclure et de la tache. Celles-ci étant envisagées non pas simplement comme des formes dynamiques dans un espace donné, mais comme des abysses au sein d’une galaxie picturale qui semble toujours déborder le cadre du tableau vers un infini. Et si à ses débuts, l’artiste prête une attention particulière à ce que chaque geste du peintre soit visible, ce qui donne lieu à l’apparition de virtuoses traces de coups de pinceaux qui s’entremêlent, il investiguera ensuite cette technique pour mieux la camoufler en jouant des transparences et des effets illusionnistes.
Ce qui interpelle, c’est aussi le contrôle rigoureux avec lequel l’artiste enchâsse ses différentes gestualités – prenant parfois des airs de graffitis agités – dans des espaces répétitifs qui évoquent une timeline. En effet, les volutes colorées de l’artiste courent sur la toile comme des notes de musique sur une portée ou des séquences filmiques de story-board. Touche picturale diachronique en quête de la capture du temps, ou plutôt de la durée. Les formes virevoltent, voltigent, s’empressent, s’interrompent, se précipitent, se gonflent, se percutent, s’embrassent, s’étirent, se bousculent. Boucle cinématique. Le plus impressionnant étant les nuances de couleur qui miment l’effet photographique. L’artiste parle à ce propos de « couleur optique » pour désigner ces artifices moirés qui lui ont été en partie inspirés par l’observation des peintures d’Andrea del Sarto et du Tintoret. Ainsi, l’illusionnisme coloriste du maniérisme et du baroque est ici revisité dans une perspective contemporaine. Si Frank Stella est le maître du « maximalisme » de la forme, David Reed serait son pendant pour la couleur. Il est ainsi un des rares à donner à la froideur géométrique d’une abstraction, une excitation émotionnelle, atteinte grâce à l’application de ses « couleurs changeantes ». N’a-t-il pas dit : « Le temps est caché dans les tableaux ; parfois, il semble même que les peintures n’auraient pu être réalisées qu’en inversant le temps ». Se tenant sur un fil spatio-temporel, entre réalité de la peinture et fiction de celle-ci, David Reed creuse l’espace et remonte le temps. A moins qu’il ne le devance, avec la rigueur savante d’un horloger. Génial !
David Reed, du 6 septembre au 26 octobre, galerie Nathalie Obadia