A la Scala Paris, Roland Auzet met en scène Le Mage du Kremlin de Da Empoli avec une équipe d’acteurs excellents, au service d’un texte riche, parfois trop.

Un miroir nous fait face dans la vaste salle de la Scala. Nous sommes les témoins engagés de la catastrophe. Qui s’offre sur scène ? Ils sont quelques-uns à nous retracer dans cette pièce réflexive, le parcours de Vadim Baranov, éminence grise de l’ère poutinienne. Séduisant, machiavélique, opportuniste, il est incarné par un Philippe Girard puissant qui promènera sa haute stature le long de la scène pendant les près de deux heures de représentation. Car Vadim Baranov n’est pas un simple individu, mais le nom du basculement que la Russie va accomplir en quittant le chaos ultracapitaliste de Boris Eltsine, pour l’ordre, et la rage guerrière de Poutine. Pour illustrer ce glissement, qui est aussi celui de la démocratie vers l’autoritarisme actuel, Roland Auzet convoque différents personnages sur scène empruntés au livre à l’immense succès de Dario Empoli. Ainsi la figure mélancolique de la femme de Baranov ou le sulfureux Limonov, présenté en punk dostoïevskien, absolument cynique. Mais le personnage qui sur scène, comme dans le livre, marquera longtemps le spectateur s’avère Berezovsky, l’un des premiers « mages du Kremlin », roi des médias, qui fut ensuite rejeté par sa créature devenue « tsar », et exilé. Hervé Pierre en fait un histrion avançant vers la lucidité, conférant une aura shakespearienne à une pièce qui n’en avait pas jusque-là. Car, malgré le talent des acteurs et l’intelligence de la mise en scène, la langue d’Empoli sonne sentencieuse. Il eut fallu sans doute s’écarter un peu du livre pour alléger la pièce de sa tendance discursive, et offrir à certaines scènes une vigueur plus marquante. Cependant, demeurent des moments frappants, notamment ceux où le « tsar » Vladimir apparaît sur scène, entouré des Docteurs Frankenstein qui l’entourent, devenant peu à peu, dans sa violence innée, incontrôlable. Un conte politique qui n’est hélas pas une fable.

Le Mage du Kremlin, d’après le livre de Giuliano Da Empoli, mise en scène et adaptation Roland Auzet, à la Scala Paris, jusqu’au 3 novembre. https://lascala-paris.fr/