C’est un scoop Transfuge. Un faisceau de preuves l’atteste : Olivier Norek, auteur des Guerriers de l’hiver, est une machine.

Je ne connaissais pas cet écrivain, jusqu’au jour où au bureau, nous avons reçu cinq exemplaires de son roman, Les guerriers de l’hiver, chez Michel Lafon; jusqu’au jour où j’ai vu dans les rues de Paris un grand nombre de mâts-drapeaux affichant la couverture du livre d’Olivier Norek. Puis les articles, nombreux. Elogieux. Puis la liste Goncourt et Renaudot où il avait été sélectionné. Alors, curieux, je suis allé voir. Et j’ai lu ce roman, ce page turner, cette chose. Il est très difficile de s’en faire une idée pertinente, car si le livre est roman, il n’est pas pour autant littérature. Pourquoi n’est-il pas littérature ? Le livre passionnant de Pierre Assouline Comment écrire, chez Albin Michel, nous éclaire. Un auteur, écrit-il à partir d’un grand nombre d’exemples, c’est une voix. Une voix, c’est-à-dire ? Cela peut-être une musique, « une musique qui hante l’auteur » comme l’écrit Assouline, Kerouac et le jazz, Quignard et le baroque. L’un et l’autre nous galvanisent, nous entraînent dans un rythme, bien à eux, dans leur monde, leur monde intérieur. On peut être plus sensible à l’un ou à l’autre, n’appréciaient même aucun de ces deux mondes, jazzy ou baroque, il n’en reste pas moins qu’il y a rythme, qu’il y a monde, qu’il y a donc littérature. Le rythme, c’est l’homme.

Or chez Norek, ce qui frappe, c’est l’absence de musique. Il ne s’engage dans aucun rythme particulier, aucune scansion personnelle, rien. Rien n’est bousculé, ni dans un sens ni dans un autre. Simplement des phrases qui s’enchaînent bien, trop bien, robotiquement : une cadence neutre si je puis dire. Vous allez me dire Carver. Oui, il y a du neutre chez Carver, mais un neutre qui renvoie au vide des banlieues américaines. Rien de tout cela chez Norek, un rien qui ne renvoie à rien, sinon des pages à tourner pour connaître la suite de l’histoire.

Quoi qu’il en soit, impossible d’entendre le souffle de l’auteur, ni lent, ni rapide, ni malade ni athlétique, ni jeune ni vieux, juste calibré, toujours le même du début à la fin, que ce soient des scènes de boucherie de cette guerre finlandaise face aux Russes en 1940, ou que ce soit des scènes de repos du guerrier. Rien = encéphalogramme plat = Mort de l’écrivain.

La voix, c’est aussi celle des personnages. Un écrivain véritable, met dans ses personnages de sa personne, de son cerveau, de ses nerfs, de sa vie dans un livre. Or là, chez Norek, rien non plus. À part le récit de cette guerre vue de loin. Olivier Norek est le Arthus Bertrand de la littérature. Que pense-t-il de la guerre ? Rien. Qu’est-ce que ces personnages pensent ou sentent de la guerre ? Rien, ou quasiment rien. Les incertitudes, les tensions, les contradictions, les déséquilibres, les inquiétudes, rien de tout cela n’est évoqué. Or c’est rappelle Assouline citant Echenoz, ce qui constitue le centre de la littérature, c’est-à-dire de la condition humaine.

Ses personnages n’ont qu’une fonction : faire évoluer le récit. Tout pour le récit, rien que le récit. Au risque de tuer toute forme de vie humaine qui pourrait s’y déployer. Encéphalogramme plat.

Je me suis replongé dans quelques pages du Kaputt de Malaparte qui lui aussi, écrit sur la guerre en Finlande. Quel contraste avec Norek ! Immédiatement, Malaparte nous plonge dans sa propre folie, et nous livre un monde à feu et à sang, un univers à la Otto Dix ou Georges Grosz, caricatural, too much, violent, distordu. On peut ne pas aimer cette coloration, il n’en reste pas moins qu’il y a un geste d’auteur, un geste artistique. De la folie et aucune sagesse chez Malaparte. Un horrible foutoir que ce livre, comme la guerre. La sagesse du roman est surtout, surtout, d’éviter de l’être trop. Norek est si sage : son livre est un pantalon si bien repassé ; le contraire de la guerre, sale et puante. Cinq lignes de descriptions de paysage, cinq lignes de combat, cinq lignes de relâche. Quelle assommante perfection !

Le manque d’engagement de l’auteur dans ce livre le rend si ennuyeux. Y a-t-il un pilote dans l’avion de chasse ? On a plutôt l’impression qu’une machine à cash s’est mise en branle. L’IA ne dit pas toujours son nom.