Débutée il y a quarante ans, l’œuvre sérielle de Dominique Digeon est mise à l’honneur à l’Enseigne des Oudin au sein d’une exposition en deux volets. 

Au moyen de multiples trouées et de perforations, Dominique Digeon (né en 1959) pénètre et soulève la matière comme un fécond sillon. Sa gestuelle perforatrice prend corps sur des supports variés – photographies, posters, livres anciens et papiers – dont l’artiste explore, le plus souvent par strates, la sensibilité. Les surfaces sont fouillées à l’aide d’une gamme élargie d’outils – cutter en tête – dont la marque métamorphose les subjectiles :  de la désagrégation vient alors le surgissement, cet interstice ténu pris entre révélation et recouvrement. Les œuvres de Dominique Digeon suscitent ainsi une réflexion sur la peau et l’épiderme tant elles cultivent les manifestations matérielles relatives aux piquetages, piquages, creusées et autres perforages… La fragmentation, si ce n’est la dissection, précède alors la recomposition car le plasticien découpe, déchire et perce les supports pour faire apparaître une érosion diversifiée comme autant de reliefs. Page après page, les livres anciens sont en proie à une métamorphose qui les fait hésiter entre peinture et sculpture, plan et volume, surface et profondeur. Pareille réinterprétation a valeur de transmutation et chaque support, dont la surface percée joue avec la lumière, se charge d’une inédite dimension plastique. 

Débutée il y a quarante années, cette œuvre sérielle aussi dense que diversifiée retient l’œil par sa construction méthodique et obstinée qui mêle peinture, collage et découpage. Ainsi, dès 1986, avec la série inaugurale Cernes bords et limites, Dominique Digeon sonde les frontières du visuel afin de rechercher l’essence au-delà des apparences. Série après série, cette quête s’intensifie au gré de multiples surfaces délivrées de la platitude du lisse, que ces dernières épousent la forme d’un tondo* ou bien la silhouette anthropomorphe d’une sculpture. 

L’invention des Papiers Pelés en 1997 marque un tournant important dans sa production, introduisant alors un processus soustractif qui dévoile les couches sous-jacentes du support. « Le pelage a pour base un fond de peinture sur lequel est rapidement posé un ensemble de papiers préalablement travaillés, incisés, encrés, peints, froissés, découpés ou déchirés » explique l’artiste. Épaisseur par épaisseur, toutes les couches sont ensuite retirées afin d’évider la matière accumulée et d’affirmer pleinement la résilience du papier en tant que médium. En 1998 avec Les Citations, Digeon dialogue véritablement avec des maîtres anciens que sont Dürer, Vermeer, Vélasquez, ou encore Corot. Plus récemment, la réalisation d’une série inspirée des célèbres bas-reliefs béninois d’Abomey témoigne de son goût éclectique pour un art du passé qui éclaire l’humanité.

En parallèle de ces séries, Dominique Digeon prolonge un paradigme de création où s’énonce la passion que l’artiste voue aux jeux d’échecs. Soumis à de nouvelles codifications symboliques, les savoureux souvenirs de parties sont alors peints et retranscrits sur des tondi ou des formats toujours carrés, variant de 10 à 200cm de côté : la surface du tableau se confond alors avec celle d’un échiquier, lieu de tous les possibles.

*Œuvre peinte ou parfois sculptée sur un support de forme ronde.

Dominique Digeon à l‘Enseigne des Oudin jusqu’au 19 octobre puis du 7 novembre au 14 décembre.