L’année de célébration des 50 ans de l’Orchestre National d’Ile-de-France se prolonge avec une soirée à la Philharmonie qui nous a fait découvrir une compositrice oubliée, Rita Strohl. A réentendre dans deux jours au Théâtre Sénart. 

L’Orchestre National d’Île-de-France aime à donner des titres à ses concerts – Étoiles, Horizons, Bal à Vienne… – ce qui rappelle bien sûr la mission éducative de cette phalange, notamment auprès des jeunes publics de la région. Mais cette inflexion thématique apportée aux rendez-vous de l’orchestre offre souvent une carnation particulière à la musique. Avait-on jamais aussi bien entendu la dimension sylvestre du concerto pour violoncelle de Dvorak, œuvre pourtant « américaine », conçue peu après la Symphonie du Nouveau Monde, quand le compositeur dirigeait le Conservatoire de New York, que lors de cette soirée intitulée Murmures de la forêt ? Pépiements des oiseaux dès le premier mouvement, plus encore dans le deuxième, cors aux accents mahlériens qui traversent les bois… La belle osmose entre le violoncelliste britannique Steven Isserlis, charismatique mais délicat et sensible, et l’orchestre met en relief la qualité de ce dernier, sa souplesse, sa puissance et sa précision.

         L’émotion est montée crescendo avec la deuxième partie du concert, consacrée à Rita Strohl, compositrice française née en 1865 à Lorient et dont le travail fut acclamé notamment par Fauré et Saint-Saëns avant de tomber dans l’oubli. C’est avec une brève mélodie pour orchestre et soprano, Les Cygnes, interprétée par Marie Perbost, qui a fait une rapide apparition, que reprend le concert. On note immédiatement la richesse orchestrale épousant à merveille le sombre et brumeux poème de Georges Rodenbach. Puis le directeur musical de l’ONDIF, Case Scaglione, se tourne vers le public : la Symphonie de la forêt de Rita Strohl que nous allons entendre, a été composée en 1901, et n’a plus été donnée depuis 1911, soit depuis plus de 120 ans, dit-il Bien sûr, on se demande en son for intérieur s’il ne s’agit pas là d’un travail d’excavation un peu poussif d’une œuvre caduque. Mais dès les premières mesures, légèrement dissonantes, entamées dans un pianissimo aussi impressionnant qu’impressionniste, rappelant l’inquiétante lande bretonne ou les mystères de Brocéliande, on sent que l’on est face à une œuvre puissante, unique, qui se déploie par vagues bien plus que par mouvements. Profondeur spirituelle envoûtante, légèreté aquatique dans l’étonnant mariage du piano et des deux harpes, motifs joueurs des bois et des vents, masse orchestrale à l’intensité quasiment wagnérienne… il était temps que cette symphonie trouve sa place sur la scène de la Philharmonie de Paris. 

Émouvant, aussi, le fait que des musiciennes se distinguent ici : Hélène Giraud, la première flûte solo, mais aussi Ann-Estelle Médouze, premier violon de l’orchestre qui, alors que l’œuvre s’achemine vers sa fin, entame avec Natacha Colmez-Collard, premier violoncelle solo, un dialogue passionné aux accents de double concerto. Si le chef Case Scaglione, avec l’aide d’Héloïse Luzzati, de l’association Elles Women Composers, a œuvré pour la redécouverte de Rita Strohl, l’ONDIF à lui seul nous donne une belle leçon de parité puisqu’il est composé de 56 musiciennes pour 57 musiciens. On sort de ce concert avec non seulement l’envie de réécouter cette Symphonie de la forêt mais aussi de découvrir les autres compositions de Rita Strohl. Ce qui est désormais possible puisque l’ONDIF vient de sortir un enregistrement de l’œuvre orchestrale de la compositrice. Deux disques précédents, du même label, La boîte à pépites, ont été consacrés à sa musique de chambre et sa musique vocale.

Murmures de la forêt, Ondif, au Théâtre Sénart de Lieusaint, 18 octobre.

Rita Strohl, volume 1, volume 2, volume 3, La Boîte à pépites. 

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