Comment écrire, tel est le titre de ce passionnant ouvrage de l’écrivain, biographe et critique littéraire Pierre Assouline. Il s’adresse aux écrivains en devenir, mais pas seulement. Tout lecteur peut s’y retrouver ; tout lecteur qui souhaite en savoir plus sur ce truc bizarre qu’est la littérature. Assouline est un immense lecteur, comme il le prouve dans ce livre, et notamment de littérature étrangère. C’est à travers des centaines de références qu’il attaque, par tous les bouts, ses mots, ses phrases, ses titres, ses ponctuations…, ce qui fait qu’il y a roman. C’est une magistrale dissection. Hormis l’hideuse couverture dorée (alors qu’Albin est normalement championne en la matière), le livre est riche d’idées et d’exemples. Il prévient d’emblée : le livre ne permettra pas à son lecteur, malgré les clefs qu’il délivre, de devenir Philip Roth ou Marcel Proust. Pas plus que les ateliers d’écriture, ce manuel éclaire sans être déterminant : « Ne pas se bercer d’illusions : il n’y a pas seulement ce qui ne s’enseigne pas, il y a ce qui ne se transmet pas. Ainsi des qualités, on ose dire des dons, tels que la grâce, l’intuition, l’esprit, l’humour, une vibration. ». Voilà qui est dit. Sinon, des perles tout au long de ses livres, en voici quelques-unes. Le style. Comment oublier la déclaration de principe du sociologue Sylvain Bourmeau, dans Libération, qui en disait long sur notre époque : le style est mort. Trop bourgeois, j’imagine. Pour ma part, je ferme immédiatement un roman sans style. Pas de langue, pas de roman. Assouline cite Simenon, son cher Simenon. Qui a une réponse qui tranche : « Mon style ? Il pleut ». Un « art de l’ellipse, de la condensation », qui nous fait croire à un écrivain sans style alors même que comme le dit Assouline, cette « simplicité » est si dure à atteindre. Il ajoute qu’il s’agit du seul écrivain qu’il a lu qui ne nécessite pas de dictionnaire. A part un seul mot, dans ses 200 romans, tous sont connus de n’importe quel lecteur. Le rythme : « il est la principale victime d’une écriture mal maîtrisée. Un excès d’autant plus dommageable que le rythme est une des clefs de la réussite d’un roman ». Ailleurs : « chaque âge a son rythme. Un même roman du même auteur n’aura pas le même rythme selon qu’il aura été écrit à 30 ans ou 60 ans (Naguib Mahfouz) ».

Quant à la ponctuation, elle est vitale, bien sûr, plus que vitale. Assouline nous apprend que Simenon quand il relisait et corrigeait ses manuscrits, traquait avant tout les virgules, les points mal placés, le point d’exclamation en trop. Une virgule dans Les anneaux de Bicêtres avait été déplacée par le correcteur : « Un jour, il ira voir son père, avec Lina. » Assouline reprenant Simenon : « sans virgule avant Lina, ils vont à Fécamp naturellement et l’histoire finit bien ; avec virgule, ils y vont également, mais on comprend qu’il y a un problème et l’histoire finit mal. » Du rôle de la virgule en littérature ! Wilde ne disait-il pas : « Un écrivain, c’est quelqu’un qui passe sa matinée à poser une virgule et son après-midi à l’enlever. » Les corrections, vaste affaire pour les écrivains. Assouline évoque Hemingway : il récrivit pas moins de 39 versions de la dernière page de L’adieu aux armes. Pour les titres de ses romans, il en dressait une liste de 100 possibles, et il barrait ceux qui ne lui convenaient pas, les uns après les autres. Entre autres entrées, il y a celle très intéressante de la fin d’un roman. Où nous apprenons que Michel Tournier ne pouvait commencer à écrire une ligne de son roman sans savoir précisément comment celui-ci allait finir. Où l’on apprend encore que Jérôme Ferrari, pour son Sermon sur la chute de Rome, ne connaissait au départ que son commencement et son dénouement, et qu’il se faisait confiance, au fil de la plume, pour inventer son centre. Une dernière question s’invite dans ce livre, éminemment assoulinienne : faut-il ou non citer ses sources, surtout quand le roman a un caractère historique ? Assouline dit que oui, et à juste titre pense que sans les historiens, ces romans seraient bien maigres ; Jonathan Littell à qui il a reproché de ne pas citer ses sources à la fin des Bienveillantes, pense que non : Fiction is fiction. Philip Roth pense que oui, ce qu’il fit pour Complot contre l’Amérique. Autant d’avis que d’écrivains. Et c’est tant mieux : la littérature est ce lieu bizarre où malgré quelques règles, quelques contraintes, quelques pièges, la liberté prédomine. Suis ton chemin, jeune écrivain ! Ecoute Pierre Assouline, et ne l’écoute pas.