Six pieds sous ciel – un chœur, nouvelle création de Jacques Rebotier met en scène l’interaction entre le flux de pensées d’un chœur parlé féminin et le bruit de fond de notre époque. Rencontre avant la création.

Il y a des « bip », des « tuuut », des « bling », des « validez le panier ». Il y a les cris de joie d’une foule face à une compétition sportive – avec ce commentaire, « mais oui, mais oui (…) »  –, ou encore cette affirmation : « J’ai sauvé les usines »… Et puis il y a des phrases énoncées sur le vif par trois femmes, comme si elles pensaient à voix haute ou que l’on lisait dans leurs cerveaux. La façon dont ce qui leur passe par la tête interagit avec la rumeur qui les entoure produit un effet comique irrésistible. En assistant début octobre aux répétitions de Six pieds sous ciel – un chœur de Jacques Rebotier on est aussitôt saisi par l’euphorie générée par ces interactions intempestives, d’autant plus drôles qu’elles évoquent notre vie quotidienne. Autour d’une table, Anne Gouraud, Aurélia Labayle et Emilie Launay Bobillot avec, pour gérer les échantillons sonores, Bernard Valléry, éclatent souvent de rire. Ce qui, bien sûr, n’empêche pas la concentration nécessaire au déchiffrage d’une partition minutieusement annotée soulevant toutes sortes de questions.

Comment dire, par exemple, le mot « vendu » ? Selon les intonations ou le contexte, le sens diffère. Ici il faut entendre « Désolé, vendu ! », intervient Jacques Rebotier. Rien n’est laissé au hasard dans cette composition constituée de phrases prélevées au fil des jours dans la rue, au café, dans le train, à la radio, à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Poète, compositeur, metteur en scène, Jacques Rebotier est aussi un collectionneur qui tel un chiffonnier, glane des mots. Le langage est pour lui un trésor. Cette poésie du quotidien, il la donne régulièrement à entendre dans des spectacles  d’une exquise drôlerie sous forme de chœurs à trois voix parlés à l’unisson. Après Les Trois Parques m’attendent dans le parking, créé en 2012, il revient à cette configuration avec Six pieds sous ciel – un chœur mettant en jeu une dramaturgie sensiblement différente. Au flux de conscience exprimé par les trois actrices – qui sont aussi musiciennes – il oppose les mots, les phrases, les bruits dont notre environnement est de plus en plus saturé.

Jacques Rebotier : « Le spectacle met en scène le fil de la pensée intérieure qui croise le monde extérieur. Entre les deux c’est le bordel. On vit ça tous les jours. Tout ce que j’ai pensé depuis le matin est un mystère et ça se croise avec la quantité de messages audio, radio, télés, signaux sonores qui nous traversent. Le fil musical de la pensée est entrecoupé par la rumeur du monde, qui l’envahit progressivement. Pour les trois actrices, cela demande un travail extrêmement fin et précis parce que ça zappe tout le temps. Donc ce n’est pas seulement de la diction musicale, c’est du jeu qui doit prendre en compte des paysages mentaux toujours différents avec une présence très forte du contexte environnemental. Tous ces mots, ces phrases, ces bruits, je les enregistre jour après jour dans des carnets parce que sinon on les oublie. Pour le spectacle, je les ai notés musicalement : les graves, les aigus, le rythme, la cadence. L’ensemble est un peu comme une installation plastique ou comme un tableau constitué de mots. Ou encore comme une symphonie du langage. Je vois ça aussi comme une anamorphose. On déplace le regard du spectateur. On zoome et on dézoome. On montre un flou et l’on fait percevoir autre chose à travers ce flou. »

Six pieds sous ciel – un chœur, de et par Jacques Rebotier, Théâtre de la Colline, du 6 au 24 novembre.