À la Colline, Emma Dante plonge dans l’univers onirique de l’écrivain napolitain Giambattista Basile et signe une farce burlesque aussi drôle que noire.
Dans la pénombre, des silhouettes humaines, vêtues de longues robes noires, se dessinent. Elles semblent prier en égrenant des chapelets. Seule incongruité, elles ont toutes des têtes de poule. L’image est fugace, mais le ton est donné. Emma Dante se place entre le conte et la satire. Après La scortecata et Pupo di zucchero, l’artiste sicilienne poursuit sa plongée dans Le Conte des contes de Giambattista Basile. Recueil de fables pour enfants, l’œuvre du napolitain, certainement l’une des plus importantes de la littérature européenne du XVIIe dans cette catégorie, trouve des échos les œuvres antérieures de Charles Perrault et des frères Grimm. Mais chez l’italien pas de belles issues, plutôt une mise en garde contre la dureté et les dangers de monde.
Pour cette nouvelle pièce, la metteure en scène italienne ne s’empare que de quelques lignes de l’ouvrage fleuve ; l’histoire d’un prince qui n’ayant pas de quoi essuyer son céans après avoir fait ses besoins, utilise le beau plumage d’une poule. Il la croyait morte, elle est vivante. Tel un parasite, elle s’accroche à ses entrailles. Se nourrissant de son hôte, elle lui offre comme unique compensation, un œuf d’or par jour. Sous la plume d’Emma Dante, il devient roi et crève à petit feu de cette cohabitation non désirée. Le pire ne se révèle pas être l’animal, mais la condescendance de sa famille et de ses courtisans, qui n’ont cure de son bien-être. La seule chose importante à leurs yeux, c’est le bénéfice sonnant et trébuchant que leur rapporte ce mal aussi fantastique qu’horrifique.
Conte grinçant, Re Chicchinella brocarde avec malice la nature humaine, ses faiblesses et son avidité. Si l’intrigue est assez simple, le langage théâtral extrêmement visuel et physique de Dante frappe. Et permet à son spectacle d’atteindre par moments une toute-puissance grotesque et drolatique. Crue autant que triviale, mais sans jamais être vulgaire, la langue revisitée du napolitain ouvre tout un chant des possibles à l’imaginaire infini d’Emma Dante.
S’autorisant quelques audaces, de pantomimes en grimaces, du magnifique aria de Haendel, Lascia ch’io pianga, à la chanson pop de Franco Battiato, Passaglio, en passant par le merveilleux et très enlevé Homo fuit veut umbra de Stefano Landi, compositeur baroque du XVIe siècle italien qu’elle remet tau goût du jour, l’Italienne imagine une folle ronde, une détonante farandole. Ça danse, ça chante, ça crache, ça vitupère, mais jamais ça ne défèque et c’est tout le drame de l’humanité. Hypocrisie, duplicité, fausse dévotion et courbette, les masques sont de rigueur dans la société qu’elle nous décrit, et tombent dès que le regard collectif ne s’exerce plus. Burlesque, grotesque et totalement baroque, la nouvelle tragi-comédie d’Emma Dante, plus enfantine qu’à l’accoutumée, oscille en permanence entre farce kitsch et tableau sublime. Un spectacle qui, sans ambitions démesurées, s’offre en moment joyeux et fantasque pour toute la famille.
Re Chicchinella, librement inspiré du Conte des contes de Giambattista Basile, texte et mise en scène Emma Dante. La Colline-Théâtre National, du 7 au 29 janvier 2025.