Oiseau de feu sublime, la danseuse Paula Padani est ressuscitée au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme.

Sa robe se gonfle et virevolte, ses bras se tendent et s’élèvent, son corps se courbe et s’élance. Les photographies en noir et blanc qui ont capté la danseuse Paula Padani sont des petites merveilles tant elles nous font ressentir la force de vie que cette artiste a pu insuffler à tous ceux ayant eu la chance de la voir virevolter. On pense à Isadora Duncan, à Loïe Fuller, à ces corps libres de pionnières qui ont osé bousculer les codes du ballet classique. Paula Padani avait la même grâce magnétique, la même énergie créatrice. Mais contrairement aux deux autres, elle tomba dans l’oubli. Grâce à une foisonnante donation de sa fille Gabrielle Gottlieb de Gail, le musée d’art et d’histoire du judaïsme nous fait revivre son parcours qui résonne avec le besoin vital de survivre à travers les arts dans les moments le plus complexes de l’histoire. Née en 1913 à Hambourg, elle grandit dans une famille juive d’origine polonaise marquée par la culture hassidique, pétrie de musique et de danse. Mais très vite, elle perd sa mère d’une grave maladie alors qu’elle n’a que huit ans, suivie par son père, emporté par un accident de charrette quatre ans plus tard. Malgré ces tragédies, déjà, la petite Paula ne cesse de danser dans l’enceinte de l’orphelinat Paulinenstift, très ouvert à l’émancipation des jeunes filles juives. Cette passion la mène auprès de la célèbre danseuse Mary Wigman dont l’école à Dresde délivre un enseignement avant-gardiste, la danse y étant envisagée comme une expression sensorielle, existentielle, au diapason du modernisme dans les arts. C’est en effet l’époque de l’expressionnisme allemand – le mouvement Die Brücke est créé à Dresde – du Bauhaus, du théâtre expérimental… En 1932, tout cela infuse mais en 1933, l’arrivée au pouvoir du régime nazi met un terme à cet élan. Mary Wigman, en fervente adhérente (elle ira jusqu’à chorégraphier la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de 1936 à Berlin) renvoie les artistes juifs de sa compagnie. Et si, en 1934, Paula réussit haut la main ses examens, son diplôme lui est refusé… Elle n’a plus qu’à fuir. Sans ressources, sans papiers, elle rejoint sa sœur en Grèce avant de gagner la Palestine mandataire grâce à un professeur du lycée français de Damas qui l’emmène en voiture jusqu’en Galilée et la présente comme la gouvernante, non juive, de ses enfants (car le mandat britannique avait instauré des quotas). Il faut s’imaginer que Tel-Aviv était passée de 41 000 habitants en 1931 à 150 000 en 1938. Dans cette ville de migrants fuyant le Reich, face à la mer, dans des paysages aux lignes bibliques, elle va créer ses solos les plus magiques. Magie résiliente qu’elle ira diffuser, juste après-guerre, dans une soixantaine de camps de déplacés : Paula danse pour les survivants de la Shoah, accompagnée d’une clameur fervente. Quelques années plus tard, lorsqu’elle s’installe à Paris, une photo fascinante montre sa grâce de phénix devant la tour Eiffel, à l’endroit même où Hitler s’était fait prendre en photo en 1940. Virevoltante insatiable, puisque même au seuil de la vieillesse (elle est morte en 2001), elle disait continuer à danser chaque jour.

Paula Padani. La danse migrante : Hambourg, Tel-Aviv, Paris, jusqu’au 16 novembre 2025, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, mahj.org

Photo : The Bird (L’oiseau),Tel-Aviv, 1938. Alfons Himmelreich (photographe). Épreuve argentique. Collection Gabrielle Gottlieb de Gail, Paris.