Magnifique découverte des éditions Denoël, avec cet Amour des hommes singuliers, du jeune écrivain brésilien Victor Heringer, hélas décédé. Entre Nabokov et Cortazar.

Remercions les éditions Denoël de donner à lire la traduction de l’un des deux romans de Victor Heringer (1988-2018), jeune écrivain brésilien à la vie trop brève. En attendant de découvrir son coup d’essai, Gloria, voici déjà le second, L’Amour des hommes singuliers paru en 2016. Un texte saisissant dès l’entame. Quand son auteur avertit que la température y sera supérieure à 31°c et que la mer en sera éloignée. S’élève ensuite la voix du narrateur. Un homme prénommé Camilo qui explique s’être présenté au monde, à Rio, un cordon ombilical autour du cou. « Il s’en est fallu de peu pour que je m’épargne la gène d’être né », lâche celui qui fut un garçon maigrichon atteint depuis l’enfance d’une para-parésie d’un membre inférieur gauche l’obligeant à s’aider d’un bâton ou de béquilles. Il sera infirme pour le reste de son existence. Camilo déteste le soleil et se décrit comme étant très blanc de peau, « presque vert ». Autour de lui, gravitaient alors Antonia, une mère oubliant d’arroser les plantes ; Pablo, un père médecin ; Joanna, une sœur édentée ; Paulina, la bonne ; et Maria Aina, la voisine sans âge qui était pour lui comme une grand-mère. « Nous vivions dans l’étrange dictature de l’enfance : nous regardions sans voir, écoutions sans comprendre, parlions et n’étions pas pris au sérieux. Et pourtant nous avons été heureux sous le régime », se souvient-il, évoquant le bonheur procuré par ses lectures de Jules Verne, d’Henry Rider Hagger et de L’île au trésor. Et puis vint le jour où son père revint accompagné dans leur maison d’un gamin à la peau métissée d’à peu près son âge. Un certain Cosme Henrique de Souza, ou Cosmim, qui avait été balloté depuis qu’on l’avait trouvé abandonné sur les marches d’une église. D’abord animé d’une haine féroce envers lui, Camilo allait vite se mettre à l’aimer et en faire un camarade de jeux privilégié. Sans cacher aux lectrices et aux lecteurs que Cosme aurait une bien courte destinée. Près de quarante ans plus tard, il n’a rien oublié des sombres feux du passé… L’Amour des hommes singuliers est tout entier porté par la voix troublante de son narrateur. Par le regard implacable qu’il porte sur le monde et les êtres qui l’entourent. Zadie Smith évoque les noms de Julio Cortazar et de Nabokov à propos de Victor Heringer qui avait manifestement bien du talent. De lui, on peut voir sur You Tube une courte vidéo où il lit, en portugais un texte de sa compatriote Hidla Hilst. Sa page Instagram existe encore, sans aucune publication mais avec 1607 followers. Déjà traduit en Angleterre et en Italie, son œuvre va heureusement continuer à se propager avec la traduction de L’Amour des hommes singuliers.

Victor Heringer, L’Amour des hommes singuliers, traduit du portugais (Brésil) par Hélène Mélo, Denoël, 194 p., 20€