Encore un récit délicieusement nostalgique, entre rêverie, voyages, lectures et Hélène et les garçons, signé Jérôme Leroy : Un effondrement parfait.
Avant même qu’on ne l’entame, le nouveau livre de Jérôme Leroy se présente déjà sous les meilleurs hospices. L’élégant volume proposé par La Table Ronde est doté d’un rabat et orné d’un dessin somptueux de Gérard DuBois. En exergue, l’écrivain a eu le bon goût d’y placer un extrait d’un pur chef-d’œuvre, Lourdes, lentes… d’André Hardellet, et d’un autre sommet, Regarde, regarde les arlequins !. Il est ici question de téléportation, de volutes et d’atmosphère. Avec d’abord un souvenir de l’été 1982. Celui où l’auteur de L’orange de Malte et de Nager vers la Norvège s’illustra en décrochant le troisième prix de rock au casino de Pontaillac en Charente-Maritime grâce à son déhanchement sur « Return to Sender » d’Elvis Presley. Dans les dunes de Wissant (Pas-de-Calais), confesse-t-il, il lui arrive d’espérer croiser une baigneuse comme celles saisies par Pierre Carrier-Belleuse, peintre un temps sérieux puis plus du tout. Ce fin lecteur qu’est Jérôme Leroy avoue être, à l’approche de la soixantaine, toujours un « adjoint » du commissaire Maigret dont il ne peut se lasser des enquêtes retranscrites par un Simenon qui ne « grandiloque jamais ». Notre homme est de ceux qui, dans leurs sacs à dos, prennent le soin de glisser un exemplaire des poèmes de Jean Follain, le Journal d’Yves Navarre ou Mohawk de Richard Russo. Le voici parfois sur les routes. Faisant escale dans une chambre d’hôtel où il reconsidère Hélène et les garçons. Le feuilleton télévisé détesté naguère tant il lui semblait faire tant de mal à ses élèves de 3e, il le revoit aujourd’hui comme « le Rohmer de la ZEP ». Le promeneur se rend à Nevers, à Aubusson ou quelque part du côté de la frontière belge, chineur sans cesse en quête des bouquinistes sur sa route. Il peut arriver de le croiser à bord d’un Paris-Lille ou d’un Limoges-Paris, « avec son bruit de train du monde d’avant, sa fraîcheur dans les sas en accordéon qui permettent de passer d’un wagon à l’autre, comme dans Compartiments tueurs ou L’Inconnu du Nord-Express par exemple ». Grâce à lui, on retrouve des saveurs oubliées. Comme une invitation à « se chafrioler », délicieuse trouvaille surgie sous la plume de Balzac au détour d’une page de La Rabouilleuse. Quand nous étions bien loin de « l’actuelle zombielangue dans laquelle nous baignons »… Jérôme Leroy ne se laisse jamais abattre, s’accorde le plaisir d’une rêverie, prisant plus que jamais le « vrai goût du temps ». Il n’est du genre à brailler que c’était mieux avant, même s’il regrette la disparition du slow de l’été et rappelle que tout le monde était plus cultivé dans les années 1970. Il suffit de l’entendre bénir l’existence du traitement de texte et de l’ordinateur portable, idéal pour regarder un film d’Ozu pendant les cinq heures permettant de relier Montpellier à Lille. Un effondrement parfait est un récit, comme Paris-Berry de Frédéric Berthet. De ceux qui se savourent et vers lesquels on retournera volontiers.
Jérôme Leroy, Un effondrement parfait, La Table Ronde, 160 p., 16 €