L’opus wagnérien présenté aujourd’hui à l’Opéra Bastille, dans la perspective d’un nouveau Ring n’a pas convaincu notre critique.
Un Ring, c’est toujours un événement. Quand une maison d’opéra se lance dans la production du « Festival scénique » de Richard Wagner, c’est signe que son directeur entend frapper les esprits, imposer sa marque. Le précédent Ring datait de l’ère Joël, en 2011, dans la mise en scène contestable de Günter Krämer ; puis il fallait remonter aux années 50 !
Autant dire que cet Anneau du Nibelung, dont les quatre volets seront proposés entre 2025 et 2026 (pour les 150 ans de la création de l’œuvre, en 1876) est très attendu. Il est d’ailleurs héritier d’un projet de Stéphane Lissner, rendu impossible par le Covid, ravaudé en version de concerts durant le confinement, puis finalement repris par Alexander Neef, actuel directeur de l’Opéra de Paris.
Qui dit nouveau Ring dit nouveau regard sur l’œuvre, nouveau souffle scénique, nouvel engagement théâtral. C’est dans ce but que le metteur en scène Calixto Bieito a été choisi. Le scénographe espagnol est connu du public parisien pour une Carmen reprise constamment depuis 2017, et qui reste un des spectacles les plus laids de la première scène française. Son Or du Rhin, premier volet du cycle wagnérien, ne déroge pas à la règle que Bieito s’est fixée : c’est tout bonnement hideux. Sous prétexte de vouloir placer l’action dans l’univers de la virtualité numérique et d’une humanité de synthèse, nous voilà dans un absurde bric-à-brac de câbles, d’écrans, de cages métalliques. Les costumes sont du même tonneau (et vus mille fois) : survêtements difformes, maillots de corps tachés, jusqu’aux tenues de plongeuses sous-marines (quelle idée originale !) pour les Filles du Rhin. On songe à un décalque plat des images futuristes de L’Armée des douze singes, mais sans le génie de Gilliam. Car tout cela est plaqué, presque figé. Et la laideur est si envahissante qu’on en oublierait presque la musique, qui était pourtant vaillamment défendue.
C’est toujours un défi que de rassembler un plateau wagnérien digne de ce nom, et Neef y est parvenu haut la main. Du côté féminin, Eve-Maud Hubeaux est une Fricka hautaine et blessée, au timbre clair, qui ne « wagnérise » jamais. Les trois filles du Rhin sont impeccables, avec une mention spéciale pour la Wellgunde de la portoricaine Isabel Signoret, dont on entendra surement reparler. Dans le bref mais toujours efficace rôle de Erda, Marie-Nicole Lemieux fait un parfait numéro de charme. La mezzo québécoise n’a plus son bronze d’antan mais sa présence reste électrique.
Chez les hommes, on retrouve des wagnériens chevronnés, qui se tirent de tous les écueils du spectacle pour donner vie à leur personnage, en dépit de la mise en scène. Le Mime de Gerhard Siegel, le Loge de Simon O’Neill, le Froh de Matthew Cairns méritent les éloges qu’ils ont reçus aux saluts. Mais le plateau est vraiment dominé par le Alberich de Brian Mulligan, tout poisseux de veulerie blessée, et qui lui aussi chante son personnage et ne le tire jamais vers le « sprechgesang ».
Reste le Wotan de Iain Paterson. Le baryton-basse écossais est un routier de ce répertoire et cela se sent. On sait aussi qu’il est un second choix, remplaçant Ludovic Tézier dès le début des répétitions. Son Wotan semblera en retrait : impeccable en soi, mais effacé, sans grand relief.
Wagner étant une musique ce chef, on attendait beaucoup du nouveau chouchou des mélomanes : l’espagnol Pablo Heras-Casado. Difficile de dire s’il a été galvanisé ou paralysé par le spectacle. Sa battue est si contrastée qu’on le sent tour à tour enflammé et désemparé, ce qui nous vaut une alternance de purs moments wagnériens et de tunnels…
Détail étrange, à l’issue de la première de cet Or du Rhin, le metteur en scène et son équipe ne sont pas venus saluer… Est-ce un éclair de lucidité, pour éviter la bronca ? Une chose est sûre, on attend leur Walkyrie avec la boule au ventre.
L’Or du Rhin, Richard Wagner, direction musicale Pablo-Heras Casado, mise en scène Calixto Bieito, Opéra de Paris, jusqu’au 19 février. Plus d’infos sur www.operadeparis.fr