Notre chroniqueur et écrivain Omar Yousef Souleimane a lu l’affreux livre de Daniel Schneidermann, Le Charlisme. Ou la dérive d’un journaliste devenu infréquentable.
Dès les premières pages de Le Charlisme (Seuil, 2025), Daniel Schneidermann adopte un ton moralisateur, affirmant que Charlie Hebdo, jadis satirique, aurait troqué son irrévérence contre une obsession islamophobe. Le fondateur d’Arrêt sur images décrit une supposée dérive idéologique de l’hebdomadaire, qui aurait, selon lui, basculé d’un journal libertaire à une tribune hostile à l’islam. Mais cette vision partiale passe sous silence le contexte dans lequel Charlie Hebdo évolue depuis des années : menaces de mort, assassinats de ses journalistes, et nécessité d’exister dans un climat où la peur et l’autocensure gagnent du terrain.
Le sujet du 7 octobre occupe une bonne partie du livre. Schneidermann reproche à Charlie Hebdo de ne pas exprimer sa rage pour les victimes palestiniennes. Il en veut à ceux qui établissent une distinction entre les victimes du pogrom du Hamas, où 1 200 personnes ont été tuées parce qu’elles étaient juives, et celles qui ont perdu la vie sous les bombardements israéliens, considérés comme une légitime défense. Pour lui, Israël, qui s’est défendu contre le Hamas, est aussi coupable que le Hamas, qui a délibérément visé des civils. Il aborde le sujet en dehors de son cadre essentiel : celui d’une barbarie menaçant la démocratie et l’ensemble de l’Occident. Celui d’un djihad international dont l’objectif est de libérer Jérusalem des juifs. Ce djihad est toujours présent au Proche-Orient. Lors de mon retour en Syrie, après la chute d’Assad, j’ai croisé plusieurs djihadistes persuadés que leur mission était de tuer les juifs et de détruire Israël pour satisfaire Dieu. Les enfants, posant avec les armes du HTC en Syrie, sont toujours abreuvés de cette propagande. Pour cette mouvance, la France est le pays le plus infidèle, un ennemi à abattre parce qu’elle s’est moquée du prophète. C’est sous cet angle que nous devrions regarder Charlie Hebdo. Or, l’écrivain en veut à la France et aux médias français : « Depuis le massacre du 7 octobre, radios et télévisions françaises, s’alignant sur la glorieuse diplomatie française, se sont rangées aux côtés de la douleur israélienne. Fini le temps des deux paires de rangers. Entre les godasses des civilisés et celles des barbares. » C’est ainsi qu’il défend Blanche Gardin contre Sophia Aram, Guillaume Meurice contre Caroline Fourest. Au nom de la démocratie et de la liberté d’expression, il justifie les oppositions ambiguës de certains de nos concitoyens évitant de traiter le Hamas comme un mouvement terroriste en se concentrant sur le « génocide » israélienne.
Le plus problématique dans l’argumentation de Schneidermann, c’est son changement d’opinion vis-à-vis de ceux qui justifient le massacre de Charlie Hebdo. Le 7 janvier 2015, écrit-il dans son nouveau livre, il a publié : « Quiconque ne partagera pas sans réserve l’horreur du carnage de ce matin sera tout simplement un ennemi. » Aujourd’hui, il affirme que cet « ennemi » est devenu un simple « adversaire ». Ce revirement semble motivé par la volonté d’éviter d’adopter le discours de certains politiciens annonçant leur guerre contre les barbares. Ces politiciens n’appartiennent pas à son champ politique.
Mais de quelle guerre et de quel ennemi parlons-nous ? L’affaire Charlie Hebdo n’est pas un simple désaccord autour d’un sujet politique, sur lequel il est tout à fait possible de diverger en démocratie. C’est un crime atroce contre la liberté d’expression, une attaque directe contre la République et ses principes, une menace contre l’existence de la nation. C’est ainsi que le « Je suis Charlie » n’est pas une question de soutenir un journal, mais de défendre notre liberté menacée par des barbares. Ceux qui ont attaqué Charlie Hebdo sont les mêmes qui ont égorgé des enfants juifs en Israël, qui torturent les femmes en Iran, et qui appliquent l’esprit des talibans sur le sol français. Avec eux, il n’est pas question de vivre côte à côte, mais face à face. Ceux qui les soutiennent, qui justifient leur barbarie, ne sont pas des adversaires mais des traîtres à la nation, et oui, ce sont absolument nos ennemis.
En définitive, Le Charlisme s’inscrit dans une tendance inquiétante consistant à culpabiliser les défenseurs de la liberté d’expression sous prétexte qu’ils pourraient « offenser » certaines sensibilités. En voulant déconstruire le « charlisme », Schneidermann contribue surtout à délégitimer ceux qui, malgré les menaces et la violence, continuent à défendre un droit fondamental : celui de rire de tout.