C’est une Traviata de grande classe qui est aujourd’hui présentée à l’Opéra de Dijon, avec une soprano, Melody Louledjian, qui incarne au plus juste l’héroïne de Verdi.
Comme Carmen, La Flûte enchantée ou La Bohème, La Traviata de Verdi fait partie de ces ouvrages proposés ad libitum par les maisons d’opéra. Et cela n’est que justice, car cette adaptation lyrique de La dame aux camélias de Dumas-fils reste, incontestablement, l’un des plus grands chefs d’œuvre de l’art lyrique. Une œuvre si populaire que beaucoup en connaissent les airs sans même savoir qu’ils en proviennent (le cinéma, les médias, la publicité se sont chargés de cette besogne). Autant dire que pour un metteur en scène, aborder La Traviata est forcément un défi. Comment faire du neuf avec de l’ancien, lorsqu’une pièce à été tant de fois rabâchée ? Il y a bien sûr la solution que (presque) plus personne ne choisit : une lecture fidèle aux volontés de ses auteurs, en l’occurrence un drame bourgeois dans les salons froufroutant du Paris Louis-Philippard. On rêve parfois d’une telle lecture (comme on rêve d’un Wagner avec dragons et gobelins, ou une Carmen chatoyante) mais Amélie Niermeyer n’a pas choisi cette voie. Disons qu’elle a opté pour une sorte de chemin médian entre une provocation bon teint et un respect de la dynamique de l’œuvre. Violetta est bien sûre une grande horizontale, mais dans cette version contemporaine la voilà dominatrice. Le premier acte se déroule dans une sorte d’urbex BDSM, où les hommes sont tenus en laisse, marchent à quatre pattes et font mine de pisser sur les piliers d’un parking en ruine (haro sur le patriarcat !). Quitte à verser dans la Dark romance, on aurait voulu plus de trash, et le donjon de la Traviata reste bien courtois. Les parties intimistes sont autrement réussies : les scènes avec le père, quoiqu’un brin guindées, sont touchantes ; quant au tableau final, il est sincèrement émouvant. On pourra arguer que le final ferait sangloter une pierre mais il faut saluer ici l’engagement total de Melody Louledjian. Ayant l’âge et la beauté féline du personnage, la soprano française nous offre une Traviata de grande classe, même si elle est plus convaincante dans la tragédie que la luxure. Sa jolie voix peine parfois (ou s’ économise ?) dans les ensembles, mais donne sa pleine mesure lors des airs, duos et trios des parties campagnardes. Et c’est une superbe idée de mise en scène que de lui faire jouer, à l’accordéon, les premières mesures de l’air « addio, del passato » qu’elle doit chanter peu après. Aux saluts, elle a reçu une ovation méritée, devant un public essentiellement composé d’étudiants enthousiastes et attentifs. Face à elle, David Astorga est un Alfredo valeureux. Ses aigus sont solaires (alors qu’il semble avoir des problèmes de projection dans le médium, n’hésitant pas à passer en voix naturelle, ce qui sonne étrangement mais donne de l’intensité -involontaire ? – a son incarnation.) Aucune singularité vocale chez Serban Vasile, qui est un Giorgio Germont un brin raide et routinier, mais au fort beau timbre.
Les petits rôles sont remplis avec talent, et il faut faire une mention spéciale à la Flora de Marine Chagnon. La battue de la cheffe brésilienne Deborah Waldman est élégante, sensible, mais un peu lisse. Pour bouleverser, une Traviata doit rugir, et on aimerait bien que l’orchestre lâche plus souvent les chevaux (ce qui arrive, çà et là, et cela sonne superbement). Enfin saluons les chœurs de l’opéra de Dijon, dont le rôle est si important dans cette œuvre. Moralité : une Traviata n’a pas besoin de cuir ni latex pour nous bouleverser. Viva Verdi !
La Traviata, Verdi, direction musicale Deborah Waldman, mise en scène Amélie Niermeyer, Opéra de Dijon, jusqu’au 15 février. Plus d’infos sur www.opera-dijon.fr
Photo : La Traviata (c) Mirco Magliocca_Opera de Dijon