Les mémoires de Martin Amis reparaissent dans le Livre de Poche. Davantage qu’une autobiographie, un roman-fleuve sur lui-même et son entourage.
Insolent, malicieux, merveilleux portraitiste enclin à la caricature comme à l’autodérision, Martin Amis est l’un des écrivains britanniques les plus influents de sa génération, au même titre que Christopher Hitchens, Ian McEwan et Julian Barnes, pour citer trois de ses amis proches, encore qu’il se soit brouillé avec ce dernier à la suite d’une lettre qui se terminait par Fuck off.
Fils de Kingsley Amis, polygraphe féru de jazz et de science-fiction, dont il a hérité l’humour, Martin s’est lui-même inspiré d’un genre considéré comme mineur, le comic book, pour écrire ses comic novels. Son livre relève d’ailleurs davantage de la bande dessinée que de l’autobiographie. C’est un book of memoirs, autrement dit une anthologie de souvenirs et un délice de bout en bout. Expérience parut en français chez Calmann-Lévy en 2003, puis en Folio deux ans plus tard. Le Livre de Poche le réédite en reproduisant le portrait de l’artiste en garçonnet blond de l’édition anglaise.
Amis relate les épisodes les plus significatifs et les plus désopilants de sa vie comme on fait « rebondir » un roman. Il s’agit moins de brosser un portrait de soi que de raconter des histoires qui mettent en relief le caractère du personnage et ses relations avec son entourage. Autre caractéristique narrative, le romancier procède à des glissements de point de vue en donnant la voix à ses proches dont il cite les lettres, les conversations, jusqu’aux imitations de son père, pasticheur hors pair. Il évoque aussi sa belle-mère, la romancière Élizabeth Jane Howard, que Kinsley épousa alors que Martin avait seize ans. Mieux que son père phallocrate (auteur de la suite des aventures de James Bond après la mort d’Ian Fleming), elle l’initia à l’art du roman en lui faisant découvrir le Mozart de la littérature anglaise, Jane Austen.
Sur le plan formel, l’un des nombreux bonheurs de ce livre sont les notes de bas de page, pareilles à des midrashim rabbiniques ou à des phylactères. Chacune réserve une anecdote qu’Amis murmure en aparté pour vous mettre dans la confidence : on a l’impression de le voir, la main en conque contre la joue, l’œil cligné, ravi de vous faire savourer la cerise sur le gâteau. Exemplaire, le rapport qu’il entretient avec son lecteur se fonde sur l’étymologie commune des mots guest et host, qui se traduisent d’ailleurs tous deux par « hôte » en français : l’écrivain offre l’hospitalité à son lecteur qui la reçoit d’autant plus volontiers que l’amphitryon est agréable et prodigue. Que les auteurs rébarbatifs en prennent de la graine ! À l’image de son maître Nabokov, et contrairement à Joyce qui ne l’a pas moins influencé, Amis, comme eux grand styliste et victime d’« arrachages de dents catastrophiques à la quarantaine », fait de son mieux pour vous mettre à l’aise en vous servant son meilleur vin assorti de succulents zakouski. Il vous invite à partager son intimité avec une tendre impudeur en exhumant des pièces à conviction parfois accablantes et embarrassantes, mais toujours drôles et émouvantes.
Expérience, Martin Amis, Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Frédéric Maurin, Le Livre de Poche, 608 p., 10,40 €