Avec sa palette inégalable, son sens aigu du mystère, la peinture d’Oda Jaune touche l’œil autant que l’âme. Une somptueuse expo, à voir chez Templon.
Passe ton chemin, mortel, ce spectacle n’est pas pour toi ! Non, elles ne te sont pas destinées, ces visions d’ailes et d’anges, qui gonflent, s’épanouissent dans le coloris plantureux, charnu d’Oda Jaune ! Les plissés de la surface, ces masses agglomérées en circonvolutions, ces infinies variations de la gamme des valeurs d’une même teinte qui allument, dans l’œil, une délectation visuelle, presque nutritive – non, ce n’est pas pour toi !
Aussi le cœur bat-il plus vite, les impressions fusent-elles plus pressées dans le cerveau devant ces toiles d’Oda Jaune, tant est vive (et délicieuse aussi, et un peu terrifiante) la conscience d’une infraction, d’un regard jeté à la dérobée, là où les humains devraient se bander les yeux. Car, ici, ces trois angelots, nous les voyons de dos – là, de dos encore ce petit corps qu’incisent deux plaies verticales, traces de la mutilation qui lui arraché ses ailes. Visages détournés, soustraits à notre attention et marques de la douleur : double avertissement ! Ce qui a lieu sous nos yeux n’est pas du ressort du visage humain et de ses facultés de perception. Et une main impitoyable pourrait bien faire tomber son courroux sur nos chairs…
Le visiteur de l’exposition se surprend alors à dire, à part soi, comme les Hébreux : « Que je n’entende plus la voix du Seigneur mon Dieu, que je ne voie plus ce feu effroyable, de peur que je ne meure. » (Deutéronome, XVIII). Mais, et tel est le beau paradoxe, l’interdiction est contournée – la peinture revêtant les fonctions et l’éloquence du prophète que le Seigneur « suscitera » et à qui il « mettr[a] [s]es paroles dans la bouche ».
Dès lors (ou, plus exactement, simultanément, les deux états d’esprit déterminés par ces toiles étant indémêlables), le spectateur, de pécheur coupable d’une indiscrétion susceptible d’on ne sait quels tourments, devient le destinataire privilégié d’une révélation. Et sans doute cela explique-t-il la sensation d’enveloppement, d’étreinte qu’invariablement produisent les tableaux d’Oda Jaune. Comme si une main amicale et ferme, pleine d’une sollicitude commensurable seulement à la grandeur de son élection, nous prenait le bras et, le doigt tendu, nous aidait à déchiffrer ces mystères que la palette, souvent animée de merveilleuses clartés, d’Oda Jaune propose à nos sens et à notre entendement.
Il y a la chair, et la présence insistance, dolente, de la carne, et la beauté radieuse, aussi, de la matière des corps ; il y a cette entrouverture sur l’infini : l’échappée bleue, céruléenne, des altitudes où seuls planent les anges et l’Esprit ; il y a l’éploration, la contemplation endeuillée de ce qui fut, le recroquevillement de la douleur sur soi ; il y a le chiffre de l’insoluble, ces signes et ces formes (une sphère ici, un cône phallique là, la lettre d’un nuage ailleurs) ; il y a les caresses, et l’amour, et l’enfance. Il y a, en un mot, tout ce que contient de drame et d’espoir, de jouissance et d’attentes, une de ces histoires sacrées qui appartiennent au croyant, au mystique, au peintre.
Oda Jaune, Oil of Angels, Templon, du 8 mars au 3 mai
Visuel : Oda Jaune, Bleu, 2025, Huile sur toile | Oil on canvas, 100 × 120 cm — 39 1/4 × 47 1/4 in, Courtoisie de l’artiste et Templon, Paris – Bruxelles – New York | Courtesy of the artist and Templon, Paris – Brussels -New York – Photo © Artist’s studio