Cinquante ans après la fin de la guerre du Vietnam, le musée Guimet expose des photos de Marc Riboud réalisées entre 1966 et 1976. Des instants de grâce au cœur du chaos….

Lors des fiévreuses années 60, la guerre du Vietnam s’impose comme l’un des premiers conflits armés massivement couverts par les photographes de guerre. Don McCullin, Larry Burrows, Gilles Caron… nombreux sont alors les photographes qui ont pu arpenter les lignes de front avec une quasi-totale liberté d’action, s’immisçant au plus près des combats. Parmi eux, Marc Riboud (1923-2016), membre de l’agence de presse Gamma, suit une autre voie : son regard s’éloigne du fracas des armes pour se poser sur la vie qui résiste malgré tout.

De 1966 à 1976, il sillonne à de multiples reprises le Vietnam et se rend à Hanoï, Saïgon, ou encore dans la ville bombardée de Hué, cheminant aussi parmi les rizières, les usines et les camps de réfugiés. Là-bas, il photographie les gestes du quotidien qui, en temps de guerre, s’avèrent bouleversés : des corps exténués dans des refuges de fortune, des enfants jouant au milieu des ruines, des amoureux qui se retrouvent à l’abri des bombes… À travers son objectif, Riboud raconte un peuple qui, bien que démuni, lutte avec détermination contre la plus forte puissance mondiale.

Son engagement dépasse les frontières vietnamiennes lorsqu’en octobre 67, alors que la contestation contre la guerre gagne les États-Unis, il assiste à une manifestation devant le Pentagone. Là, une scène l’interpelle : une jeune manifestante, frêle mais résolue, tend une fleur face aux baïonnettes des soldats. Il déclenche son appareil : saisissante, l’image est depuis devenue iconique, tant sa portée pacifique symbolise la contestation contre l’intervention américaine en Asie du Sud-Est. En 1970, il publie Face of North Vietnam, un reportage qui brise les stéréotypes de l’époque. Ici, pas d’ennemis vus comme abstraits, ni même de figures diabolisées. Riboud immortalise des visages, des regards, des vies ordinaires prises dans un conflit qui les dépasse, humanisant alors ceux que la propagande américaine désigne comme des adversaires, donnant à voir une réalité que beaucoup préféraient ignorer.

Car ce que démontre bien l’exposition, c’est que là où d’autres fixent la guerre dans son spectacle de douleur et de brutalité, le photographe traque l’ombre qui dialogue avec la clarté. Éloigné de tout sensationnalisme, son objectif ne semble alors pas cadrer l’image choc, mais bien plutôt sonder la part intacte de l’humanité, quand bien même cette dernière s’avère profondément meurtrie et menacée.

Après la chute de Saïgon en 1975, Nord et Sud sont réunifiés au sein de la République socialiste du Vietnam. En janvier 76, Riboud découvre alors un pays épuisé par la guerre, confronté aux camps de « rééducation », aux déplacements forcés et à l’exode tragique des boat people. Fidèle à son regard de témoin, il documente l’emprise communiste avec la même rigueur qu’il avait montrée face aux ravages américains. Son œil attentif et bienveillant n’a alors de cesse de capter les instants de grâce pris au cœur du chaos, rappelant que même dans les pires tragédies, l’humanité persiste, tenace et fragile à la fois, à l’image même de la vie.

Marc Riboud – Photographies du Vietnam 1966-1976, jusqu’au 12 mai, Guimet- Musée national des arts asiatiques

Visuel : Vietnam du Sud, 1968. L’ancienne ville impériale de Hue,après le bombardement de mai 1968. ©Marc Riboud-Fonds Marc Riboud au musée national des arts asiatiques-Guimet.