Où il est question chez Bucher Jaeger d’un désert de sel et d’une nouvelle planète. Celle de Guillaume Barth et des Aymaras de Bolivie. Un rêve d’exposition.
Dans les rêves, c’est, pour piocher une formule chez Claudel, « le temps même / Qui s’en va faire explosion ». Tous les artistes sont sans doute des rêveurs ; tous ne sont assurément pas, comme Guillaume Barth (« chaque projet naît d’un rêve et d’un secret », me confie-t-il, depuis sa chambre d’hôtel en Bolivie où l’exposition, telle que nous la verrons à partir de fin avril, est encore en gestation), des artistes du rêve. Dont les œuvres – même s’il revendique le terme de « sculpture », pour qualifier le point de départ de l’aventure : une voûte, une demi-bulle édifiée en 2015 dans le salar d’Uyuni, immense étendue désertique, saline et bolivienne – obéissent moins aux nomenclatures ordinaires de l’art qu’à des catégories qui glissent entre les doigts de la raison éveillée. Catégories où le temps des rêves, ce temps « explosé », ou, mieux dit, enroulé, spiralé, n’est plus la seule condition de réalisation d’une entreprise artistique, mais un matériau à part entière.
Suivons donc, comme le rêveur dans le flot de ses images, le déroulé de ces boucles temporelles. Après une première visite en 2013, Guillaume Barth retrouve fin 2014-début 2015 le désert et le village aymara de Tahua, au-dessous du volcan Tunupa. Il élève alors un dôme de briques de sel, faisant ainsi émerger sur la surface hostile, inhospitalière au vivant, l’arrondi d’une cavité matricielle. Laquelle, lorsque les pluies commencent, crée, à l’aide du reflet symétrique de la construction sur le miroir du sol, l’illusion d’un globe flottant dans des étendues infinies, infiniment distantes mais aussi infiniment familières. Celles, sans doute, de l’espace à la fois céleste et terrestre du rêveur. La planète Elina est née, et elle vivra ce que vivent les rêves : un instant (mais un instant d’éternité, puisqu’elle orbite désormais à jamais dans nos imaginaires), avant de se dissoudre. Puis, nouvelle boucle, c’est mars 2025, Guillaume Barth retrouve les Aymaras.
Les lois qui ont cours dans le rêve ne sont pas seulement celles d’une autre physique spatio-temporelle ; elles relèvent aussi du langage : c’est toujours une parole, plus ou moins codée, ses hiéroglyphes, sa syntaxe, sa prosodie, que nous écoutons au plus profond de nos nuits. Et c’est justement d’une parole tenue et transmise qu’il est question ici : Guillaume Barth s’y était engagé, il rapporte, traduite dans la langue de ceux qui l’ont accueilli, la brochure qui consignait la genèse d’Elina.
Photos de 2015 du photographe François Klein, vidéo, photos d’aujourd’hui, maquette… telles seront, dans l’exposition, les clefs du songe d’Elina. Songe qui n’a rien d’une fumée vaporeuse. Car les enjeux écologiques de la région – zone d’extraction du lithium – sont considérables. Dans ces conditions, Elina, cette nouvelle planète, se charge de signification : on peut par exemple, comme Joachim Montessuis, dans le texte dont la traduction a été présentée aux Aymaras, parler de « régénération et de guérison ». La transfiguration propre aux rêves a opéré : Elina est devenue symbole.
Guillaume Barth, Elina 2015-2025, la promesse aux Aymaras, galerie Jeanne Bucher Jaeger.
Photo : Un atelier de rêve, 2014, projet Elina ©️ François Klein