À l’occasion de son exposition à la galerie Hauser & Wirth de Monaco, retour sur la vie de la franco-américaine Barbara Chase-Riboud marquée par le voyage, la curiosité et la reconnaissance des invisibilisés.
À la galerie Hauser & Wirth de Monaco, deux sculptures monumentales trônent sur des scènes. La partie structurelle en bronze patiné rouge ou noir, géométrique, s’élève dans un mouvement vif figé. De son point culminant s’évade des cordes de soie rouge qui glissent jusqu’au sol qu’elles effleurent. L’art de Barbara Chase-Riboud est fait de contrastes ; de matières, souples ou rigides, de formes, d’états entre tension et abandon. Leurs titres éclairent le motif abstrait. The Josephines, de la série La Musica, rendent hommage à Josephine Baker, danseuse engagée qui évolua entre les États-Unis et la France, comme Barbara, née en 1939 à Philadelphie et installée à Paris depuis son premier mariage avec le photographe-reporter français Marc Riboud en 1961 (voir page de gauche). Ces jeunes années sont synonymes de voyages et de rencontres. Après un an en Italie, elle découvre l’Europe, la Turquie, l’Égypte. Elle s’y délecte des sculptures classiques et baroques mais surtout de la sculpture non occidentale. L’artiste décide alors de décentraliser les regards et de donner voix aux invisibilisés. Cette seconde impulsion naît non pas d’un lieu mais d’un évènement : l’assassinat de Malcom X en 1965. Puisque les monuments ne sont jamais érigés en l’honneur des minorités, elle décide de dédier son projet de stèles en cours au militant afro-américain. En 1998, elle réalisera la sculpture monumentale Africa Rising, enhommage à Sarah Baartman, prénommée la Vénus hottentote. Les stèles exposées à la galerie Hauser Wirth participent de ce même élan.
La première
L’artiste sculpte depuis son enfance. À sept ans, elle suit les cours du musée de Philadelphie et du Fleischer Art Memorial et remporte un prix. Plus tard, elle participe à une exposition collective. Son dessin est acquis par un conservateur du MoMA, William S. Lieberman, qui l’offre au musée. Elle a seize ans. En 1960, elle est la première artiste afro-américaine diplômée d’architecture de la célèbre Université Yale. En 1974, elle est la première femme-artiste américaine à avoir une exposition personnelle au Musée d’art moderne de la Ville de Paris. En 1999, elle est aussi la première femme artiste vivante à avoir une exposition personnelle au Met de New-York. Barbara participe discrètement à la reconnaissance de ses consœurs, afro-américaines de surcroît. Son style s’est très rapidement affirmé. Elle ose, impose, joue avec les matières et les mouvements, avec le figuratif et l’abstrait, la monumentalité et la fragilité. Elle fait se rencontrer les contradictions.
Romancière et poétesse
À Monaco, des œuvres plus intimistes sont exposées aux côtés des sculptures, ses dessins de 2020 de la série Dressing of the Moon. Des lignes de soie brodées sur papier tissent un lien entre sa pratique sculpturale et celle de l’écriture. Car Barbara est aussi écrivain et poétesse. Dès 1974, Toni Morrison édite son premier recueil de poèmes From Memphis & Peking inspiré de ses voyages. Cinq ans plus tard, elle publie son premier roman sur la relation de l’esclave Sally Hemings avec le président Thomas Jefferson. « J’écris ce que je ne peux pas sculpter et je sculpte ce que je ne peux pas écrire. C’est comme être ambidextre ; je passe de l’un à l’autre sans raison particulière. Toute ma carrière a été une sorte de déséquilibre ou d’équilibre entre la littérature et la sculpture », explique-t-elle. Barbara Chase-Riboud a écrit plus d’une dizaine de recueils de poésie et de romans dont des best-sellers tels Vénus hottentote en 2004. Du haut de ses 85 ans, cette femme curieuse et pleine d’entrain savoure maintenant sa consécration avec joie, fière d’un parcours exceptionnel.
THE JOSEPHINES, Barbara Chase-Riboud, Jusqu’au 14 juin, Hauser & Wirth Monaco
Visuel : Barbara Chase-Riboud avec Josephine Red/Red et Josephine Black/Red, New York NY, 2023. Photo: Grace Roselli. Courtesy of the artist and Hauser & Wirth.