Quel roman ! Quel traité ! Quel ovni ! Je vous préviens tout de suite : amateur de romance, de bluette, de feel good ou que sais-je encore qui ressemble à la guimauve, passez votre chemin. Les Dernières nouvelles de Rome et de l’existence (Gallimard) sont mauvaises, très mauvaises. Le ciel est sombre (Dieu est mort, bien bien mort), la société romaine consomme et se consume. Il n’y a plus rien, nous dit le personnage principal Nicola Palumbo, presque plus rien. On n’existe quasiment pas se répète Palumbo. L’époque, 1969 : la société romaine est suridéologisée, donc nous martèle le narrateur, d’une bêtise absolue. Tant à gauche qu’à droite. Une société à la fois mercantile, individualiste et collectiviste. Du grand n’importe quoi, au fond, pas moins qu’aujourd’hui. Palumbo se débat dans cette modernité qu’il exècre. Il a cru à un moment influer sur le cours de l’histoire, devient homme politique, d’extrême gauche. Mais le jour de son élection, il démissionne. Préfère devenir marchand de canapés pour mieux observer « l’homme moyen », symbole de la déchéance de notre civilisation. L’homme médiocre ; l’homme à deux balles. Il faut dire que c’est un drôle de gus que ce Palumbo… au XIXe siècle, il aurait été positiviste, comme Taine, Comte ou Renan. Toujours et encore, il raisonne, théorise, argumente, contre argumente, seul face à lui-même. Il y a du Herzog de Bellow dans ce personnage-là. Et d’ailleurs, idée géniale, Palumbo s’envoie lui-même des lettres. Quelle solitude cet homme traverse ! Positiviste : oui et non, car Palumbo est un homme du XXe siècle, et si par moments, impulsivement, sa croyance dans le raisonnement comme unique source de vérité, est absolue, elle s’annihile en quelques instants. Dissolution de l’être, inexistence, et si tout cela n’avait aucun sens ? Et si tous ces raisonnements, aussi brillants soient-ils, n’étaient que bullshit ? Palumbo s’épuise, rattrapé par son désespoir, fruit de la laideur contemporaine, fruit d’une lucidité qu’il paie cher.
Les personnages secondaires sont très soignés. Luigi Montal, le meilleur ami, donne lieu à des scènes grotesques hilarantes, à une farce à l’italienne ; Romano Zolfo, l’écrivain, ridicule, fou, à l’idée farfelue de lancer la carrière d’écrivain de Palumbo, à partir d’un livre qu’il n’aurait pas écrit. Une fantaisie, dont le livre n’est pas dépourvu.
Le Gall excelle dans les dialogues, très nombreux dans le livre, où il niche le plus souvent ses meilleures répliques comiques. Et ses pensées en ébullition.
C’est un roman anti-moderne et pourtant, malgré lui, un exemple type du roman postmoderne. Roman hybride (roman comique, roman satirique, roman existentiel, roman philosophique) roman multiréférencé, (Diderot, Drieu, Risi, Antonioni, Sorrentino…), il ne choisit aucun genre, aucun camp : c’est un roman errant d’un homme perdu dans un monde perdu.
Malgré tout, une lumière persiste, un très fin rayon de soleil passe à travers l’épais rideau : sa mère. Appelée « maman » par le narrateur. Une tendresse, une mélancolie. Lisez, vous verrez.