Avec ce conte cruel pour adultes, notre collaboratrice cinéma Séverine Danflous prouve qu’elle est aussi une remarquable écrivaine. A La bouche est un récit à trois voix successives : Elle, la “fille des eaux” qui devient mère, Lui, “le maître du logis” possessif (ou protecteur et trompé ?), et “petit bonhomme”, le fruit de leurs étreintes. A travers leurs monologues intérieurs, l’auteure aborde des thématiques aussi contemporaines qu’éternelles : la femme, le couple, la maternité, le sexe, l’emprise, l’altérité, l’invention de soi… Dit comme ça platement, on pourrait craindre un exposé sociologique pour magazine féminin, mais A La Bouche en est l’antithèse baroque et légendaire ! Séverine Danflous enfouit ces thèmes dans le registre du conte, décolle du réel pour voler dans l’imaginaire, faisant surgir des échos des frères Grimm, de Perrault, de La Nuit du chasseur, de Lola Montès ou du Règne animal. Qui de “la fille des eaux” ou du “maître du logis” a été la proie ou l’ogre de cette histoire d’amour, de sexe et d’enfantement ? Le livre ne tranche pas, c’est au lecteur d’en décider. Surtout, et c’est là que nous quittons la sociologie pour la littérature, Danflous développe une langue, magnifique, rythmée, précise, chamarée, ensorcelante, scandée comme une prosodie quand c’est Elle qui parle, plus prosaïque et défensive quand c’est Lui, enfantine quand c’est le petit d’homme. De cet entrelacement de voix, de mots et de styles qui montrent que le couple et la famille sont parfois de beaux et sauvages malentendus, que chacun voit midi à sa porte, émerge la figure souveraine d’une femme puissante et libre. Et d’une écrivaine qui l’est tout autant.

À la bouche, de Séverine Danflous