Woody a beaucoup changé. Il y eut le Woody première période, le clown, le mal dans sa peau, le blagueur, le très mauvais avec les femmes, le bredouillant, l’obsédé sexuel immature, (rappelez-vous la scène dans Bananas où il a acheté des magazines pornos qu’il cache honteusement sous la revue Commentary). Il a vu Ernst Lubitsch, Charlie Chaplin, a fait du stand-up pendant des années, fan du très comique et très populaire Mort Sahl. Ça donne Prends l’oseille et tire-toi, Bananas, Tout ce que vous avez voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander…
Il y eut le Woody deuxième période. Il a vu le cinéma d’Ingmar Bergman, c’est une claque, il faut en faire quelque chose. Finalement, tout n’est pas si drôle, la vie en couple est difficile, le sexe un drame. Ça va donner des films où l’on discute sérieusement, on ne badine plus, on s’aime mais comment ? mais pourquoi ? mais jusqu’où ? Suis-je à la hauteur ? Renversement de situation amoureuse, rabibochage… Du Bergman version light, un peu d’air en plus. Manhattan, Annie Hall, Hannah et ses soeurs, La Rose pourpre du Caire.
Puis il y a le Woody dernière période. Là notre homme a mûri. La vie de Woody, son personnage, se sont largement effacés devant son cinéma. Autrement dit, moins de lui, plus d’art. Plusieurs de ses derniers films sont avant tout des clins d’oeil à ses maîtres : Ombre et Brouillard à Fellini, Escroc mais pas trop à Raoul Walsh… Il s’efface aussi en laissant la place à des hommes qu’il vénère, comme Django Reinhardt dans Accords et Désaccords. Et sa trilogie londonienne – Match Point, Scoop, Le Rêve de Cassandre – confirme la tendance : L’accent est nettement mis sur l’intrigue. Sa joie de filmer semble avoir pris le pas sur son ego. Woody a disparu.
Pas totalement, bien sûr. Son adolescence n’est jamais très loin, prenez la scène du vieux magicien dans Scoop, jouée par lui-même. Son rêve d’enfant, être magicien. Et ce thème qui l’obsède encore et encore, tout comme Ernst Lubitsch et Charlie Chaplin, celui des classes sociales, celui du parvenu. Toute sa filmographie ou presque en parle : c’est l’histoire du petit Allan Königsberg, futur Woody Allen, Juif de Brooklyn, qui va tout faire pour être aimé par son pays d’accueil, les États-Unis, qui monte, s’assimile, et en fait pas vraiment.
Je suis sûr que le cinéma est plus important pour lui que sa vie, un film par an depuis un bout de temps, ça veut dire quelque chose. C’est à son cinéma que nous rendons hommage, avec une interview exclusive qu’il a bien voulu nous donner par téléphone. Et devinez quoi ? Il était dans sa salle de montage !