A l’origine des Indiana Jones, il y a George Lucas. On est au début des années 1970, il travaille sur le script d’Apocalypse Now avec George Milius (il devait même réaliser le film avant de le laisser faire à Coppola), et cogite sur American Graffiti et Star Wars. Il a une autre idée, une idée de personnage : Indiana Smith, comme il voulait l’appeler au départ, qui devra ressembler à ces héros des serials des années 1930 qu’il regardait à la télévision le samedi matin. Il aimerait créer un personnage cynique et libre, dans la lignée de Clark Gable et d’Humphrey Bogart.
En 1967, le jeune Steven voit un court-métrage de George Lucas, Electronic Labyrinth THX-1138 4EB, dans un festival étudiant. Il en sort très impressionné. En 1977, un projet scelle définitivement leur amitié : Indiana. Star Wars sort sur les écrans, et Lucas, qui déteste Hollywood, a fui les projecteurs pour se réfugier sur l’île de Mauna Kea (Hawaii). Spielberg le rejoint avec une obsession : contacter le producteur Cubby Broccoli pour qu’il le prenne comme metteur en scène sur le prochain James Bond. Lucas contre-attaque en lui proposant Les Aventuriers de l’arche perdue. Spielberg semble emballé par le projet. Sur la plage, il dit oui.
En fait, Spielberg ne va pas très bien à ce moment-là, et il est un peu obligé d’accepter. Bien sûr, il a déjà à son actif le succès des Dents de la mer et de Rencontres du troisième type, mais son deuxième film, Sugarland Express, n’a pas marché. Deux ans plus tard, le film 1941 est une catastrophe financière, et les producteurs se méfient donc du jeune prodige. Il a besoin d’un nouveau film pour se relancer, qui agirait comme un antidépresseur. Voilà comment l’histoire a commencé, et voilà comment virent le jour ces films mythiques : Indiana Jones et les aventuriers de l’arche perdue (1981) ; Indiana Jones et le temple maudit (1984) ; Indiana Jones et la dernière croisade (1989).
Presque trente ans après le premier épisode, Lucas revient à la charge. De 1992 à 1996, Indiana Jones est passé en série à la télévision américaine sur la chaîne ABC, puis sur la chaîne USA Network. La série gagne 10 Emmy Awards, de quoi donner envie au producteur de faire un 4e volet. Il trouve son MacGuffin, comme toujours très précis chez Lucas contrairement à celui d’Alfred Hitchcock, qui le voulait, lui, le plus vague possible. Là, Lucas, pense à un crâne de cristal, objet mystérieux autour duquel va s’articuler le film.
Spielberg a une idée précise de ce qu’il veut : le film sera has been, il risque d’être inactuel, de ne pas être dans la modernité. On n’a plus grand-chose à prouver à son âge, avec cette carrière. Lucas veut du numérique. Non, dit Spielberg, on tourne à l’ancienne. Le monteur Michael Kahn a monté le film sur une ancienne Moviola. Il y aura un minimum d’images de synthèse et les effets spéciaux se feront en plateau. Il a rappelé son chef opérateur Doug Slocombe, qui a travaillé sur les trois premiers Indiana, son remplaçant Janucz Kaminski doit s’en inspirer.
Voilà pour les faits. Pour l’analyse, Transfuge a décidé de revenir sur l’oeuvre de Spielberg, considéré ici comme un auteur, dans un grand dossier. On a trop souvent dit de lui qu’il était un cinéaste de l’enfance, un peu mièvre, qui se contenterait de dire : « Mon fils, tu es un bon garçon, Daddy, tu es le meilleur papa du monde. » C’est vrai qu’il y a de la naïveté dans ses films. Mais on y trouve autre chose : la mort y rôde un peu partout, la mélancolie et une certaine dose de cynisme. Il y a de l’histoire qui broie des hommes. Bref, de quoi inventer des personnages qui ressemblent à des hommes, qui nous ressemblent, tout en nuances.
Faut-il rappeler que François Truffaut, dont le jugement cinémato-graphique a été souvent juste, adorait Spielberg (surtout Duel et Les Dents de la mer). Il a pu le voir de près grâce à ce rôle de savant dans Rencontres du troisième type (1977). Le génie de Spielberg, nous dit Truffaut, est de « donner de la plausibilité à l’extraordinaire. (…) vous verrez que Steven a pris soin de tourner toutes les scènes de la vie quotidienne en leur donnant un aspect un peu fantastique tandis que, sur l’autre plateau de la balance, il donnait le plus possible de quotidienneté aux scènes fantastiques ».
Rendez-vous donc le 22 mai, pour la sortie du dernier opus d’Indiana. •