Un journaliste américain, Donald Morrison, a commis une enquête sur la culture française pour le Time Magazine. Le verdict est sans appel : la culture française est morte.
Donald Morrison est un ignare, qui a eu du talent, car il a réussi à faire du bruit, mais, paresseux, il n’a pas beaucoup travaillé, défaut trop souvent remarqué dans le journalisme.
Donald Morrison, un jour de fatigue intellectuelle, un jour où sa femme lui a fait, comme toujours, trop de reproches, un jour où ses enfants l’ont agacé en faisant trop de bruit, il a trouvé une idée : le déclin de la culture française. Le voilà soulagé, redevenu souverain, maître d’une idée, qui de surcroît, allait sûrement plaire à son rédacteur en chef. C’est même la couv’ qu’il a obtenue. Cette journée qui avait si mal commencé pour lui finit donc en beauté, sur la couverture d’un magazine à vocation internationale, histoire que le monde entier soit au courant, qu’en France, on ne crée plus, on ne pense plus. On est mort, quoi ! Il a peut-être eu un petit moment d’hésitation avant d’écrire son article, quand même, rayer une culture de la carte aussi radicalement, peut-être que quelques années d’analyse en plus, aller un peu plus dans les détails avant de théoriser aurait donné une force à la thèse… Mais après tout, il s’est dit qu’un journaliste, c’est un journaliste, et qu’il faut bien, à la fin du mois, payer le loyer, même si sa femme et ses enfants le gonflent depuis quelque temps.
Roland Barthes lui, quand Tel Quel, en 1961, lui pose la question de l’état de la littérature contemporaine, répond, malgré sa vie consacrée à la comprendre, que la synthèse était impossible. La littérature ne se réduit pas à une synthèse, il faut prendre livre après livre et analyser chacun d’entre eux.
Cette mort annoncée, Transfuge prépara la riposte. Alors, la littérature française est-elle morte ? Des écrivains bien vivants comme Marc Weitzmann, François Bégaudeau, Vincent Delecroix, Stéphane Audeguy et d’autres ont répondu avec virulence, sans mâcher leurs mots, dans un optimisme rafraîchissant.
Un bémol, cependant, à l’engouement. Une forme demeure trop rare dans la littérature française contemporaine : le roman que Kundera appelle « le roman qui pense ». On croule sous les livres français qui n’ont rien à dire. Ces romans qui pensent, nous dit Kundera, sont nés avec Hermann Broch et Robert Musil qui ont fait entrer la pensée dans leurs écrits. Ces « romans qui pensent » mettent la connaissance au centre de leurs préoccupations. Il ne s’agit pas de faire de la philosophie, dit Kundera, avec le roman, mais plutôt de fabriquer de la pensée relative, hors de tout système, qui prend en compte la pluralité humaine. Et ce pouvoir du roman, hélas, est aujourd’hui trop peu exploité dans notre pays. On ne peut nier que les écrivains français ne sont plus des penseurs, comme ont pu l’être Albert Camus, André Malraux, Jean-Paul Sartre, Louis Aragon, Charles Péguy, Paul Valéry, Victor Hugo, Emile Zola. Il manque cruellement de penseurs-romanciers. Quelque chose a pourri de ce côté-là.
De là à dire que tout est mort… bien sûr que non. Jonathan Littell a mis tout le monde d’accord, il y a deux ans. Le Clézio a remis tout le monde d’accord cette année avec son prix Nobel. Il y a de quoi être fier de notre littérature. Que la fête continue.