C’EST UNE RENTREE EXCEPTIONNELLE. Les artistes, romanciers et cinéastes, ont une nouvelle fois défié les dieux, et de bien belle manière. Transfuge a sélectionné une vingtaine de romans qui ont semblé ce mois-ci dignes d’intérêt, dont trois vraiment à couper le souffle. Yannick Haenel, dans son roman Jan Karski, narre la vie de celui-ci, un des témoins majeurs du film Shoah de Claude Lanzmann. Le roman débute par une citation de Paul Celan : « Qui témoigne pour le témoin ? » La littérature, répond Haenel, et magnifiquement bien. James Frey, avec son roman L.A. Story, écrit, après Nathanël West, John Fante, Charles Bukowski, James Ellroy, un grand roman sur Los Angeles. Ne soyez pas à la traîne, Frey, visionnaire, nous assure que Los Angeles est l’eldorado de demain et que New York s’endort. Joseph O’Neill, avec Netherland, signe un premier roman magistral sur le New York de l’après-11 septembre, sur la question du cosmopolitisme.
Alain Finkielkraut, de son côté, fait paraître, avec Un coeur intelligent, sa bibliothèque idéale constituée de neuf romans : Les Carnets du sous-sol de Fedor Dostoïevski, Tout passe de Vassili Grossman, Le Festin de Babette de Karen Blixen, La Tache de Philip Roth, La Plaisanterie de Milan Kundera, Lord Jim de Joseph Conrad, Washington Square de Henry James, Le Premier Homme d’Albert Camus, Histoire d’un Allemand de Sebastian Haffner. Que le philosophe fasse notre couverture n’a fait aucun doute, puisque Transfuge est partie prenante de ce projet depuis des années. Même si Alain Finkielkraut pensait à ce livre depuis très longtemps – la littérature est son premier amour -, Transfuge l’a interviewé à plusieurs reprises sur ses classiques préférés, lui permettant, selon ses propres aveux, de mettre « le pied à l’étrier ». Le livre est remarquable de coeur et d’intelligence. Il relit les classiques comme jamais ils ne l’avaient été, et pose deux questions fondamentales : Qu’est-ce que ces classiques disent de la condition humaine ? Qu’est-ce qu’ils nous apprennent sur le monde d’aujourd’hui ? Un seul défaut: il manque dans cette bibliothèque idéale Le Guépard de Lampedusa – j’assume ici une entière subjectivité – mais Alain Finkielkraut m’a assuré que ce n’était que partie remise.
Du côté du cinéma, deux films ont suscité un vrai enthousiasme : Non ma fille, tu n’iras pas danser de Christophe Honoré, et Tu n’aimeras point de Haim Tabakman. Christophe Honoré signe un film émouvant sur la lente agonie d’une jeune femme divorcée – Chiara Mastroianni est époustouflante dans ce rôle – incapable d’utiliser la puissance de la parole pour s’en sortir. Un film très littéraire, dans le sillage d’Alice Munro et de Virginia Woolf. Honoré est le grand espoir du cinéma français. Tu n’aimeras point est un film bressonien sur la communauté juive orthodoxe confrontée à la question de l’homosexualité. Ni l’un ni l’autre des thèmes ne vous intéresse ? Peu importe, le film n’est pas sociologique, il va plus loin et pose la question essentielle et universelle du désir. Il confirme à quel point le cinéma israélien est prodigieux depuis quelques années. On avait vu grâce à Raphaël Nadjari et son Histoire du cinéma israélien (voir Transfuge n° 31) que ce cinéma est peut-être celui qui pense le plus. C’est une nouvelle fois confirmé avec ce magnifique film.
Alors, pour tous ceux qui craignent, et vous êtes encore nombreux à le penser, que notre civilisation court à sa perte, qu’elle oublie l’Être, ma réponse est simple : en tout cas, pas en -septembre.