ELLROY, SURESTIME ?
James Ellroy sort ces jours-ci le dernier tome de sa trilogie, Underworld USA. Toute la presse va crier au génie, comme chaque fois que l’Américain sort un roman. Il le sait, Ellroy, qui dit de lui-même dans l’entretien, avec l’humilité qui le caractérise : « Je suis un dieu en Europe. » À la rédaction de Transfuge, on en est moins sûr. Pour nous, il est loin d’être une icône vivante. Nous avons préféré mettre son dernier roman en débat, en faisant réagir, entre autres, deux monstres sacrés de la littérature américaine, tous deux National Book Award : William T. Vollmann et Norman Rush. Aucune langue de bois chez les deux Américains : le premier compare Ellroy à Céline – ce qui n’est pas rien, bien sûr – mais il l’estime incapable de rendre la vie intérieure d’un personnage, et incapable d’amour. Norman Rush, lui, pense que Underworld USA est un bon roman. Pas réaliste comme on le catégorise trop souvent, car truffé d’erreurs historiques, mais construit comme une longue hallucination. Le débat s’est prolongé avec deux autres textes : celui d’Eric Miles Williamson, notre chroniqueur américain, qui, lui, déteste ce roman, et accuse Ellroy de n’avoir aucun style. Et celui de Larry Fondation, poète américain spécialiste de Los Angeles, qui pense que son roman n’est pas mauvais, mais qu’Ellroy est un vrai réac. Ce en quoi il n’a pas tort, puisque Ellroy dit dans l’entretien qu’il préfère clairement vivre dans une société autoritaire que dans une société laxiste. Drôle de personnage que ce Ellroy.
AMOS OZ, LE TCHEKHOV ISRAELIEN
Dans un tout autre registre, le grand romancier israélien Amos Oz nous a accordé un grand entretien, pour la parution d’un recueil de nouvelles, Scènes de vie villageoise. Avec sa délicatesse habituelle, il est revenu sur son processus de création, ses influences, son admiration absolue pour Tchekhov, mais aussi pour Carver, influence moins visible mais bien réelle, et sur son pays, Israël. Il se bat pour la paix depuis toujours, avec notamment David Grossman, et, idéaliste, continue, s’efforce de continuer à y croire. Il est même optimiste, pensant que la situation en Israël va beaucoup mieux qu’il y a quelques décennies ! Aveuglement ? Besoin d’y croire ? Besoin d’illusions ? De loin, à écouter Amos Oz, on a l’impression que des hommes comme lui, en Israël, sont de plus en plus isolés. Il m’a fait penser au prince Salina, dans Le Guépard, qui voit le monde changer, et auquel il n’appartient plus. Amos Oz, on le sait par ses essais, pense compromis, modération. Comme la société israélienne en est loin aujourd’hui, en ayant choisi Benyamin Netanyaou. Rappelons évidemment que du côté des Palestiniens, la volonté de compromis paraît de même bien faible.
UNE RENTREE LITTERAIRE EN DEMI-TEINTE
Si la rentrée de septembre était enthousiasmante, celle de janvier ne restera pas dans les mémoires. Une claque, quand même, une découverte : Nam Lé, jeune auteur australien d’origine vietnamienne, qui sort un recueil de nouvelles, Le Bateau. À l’heure de ce débat grossier sur l’identité nationale, Nam Lé nous rappelle le monde du futur : des nouvelles du monde entier, d’Hiroshima au Vietnam en passant par les taudis de Colombie et les rues de Téhéran. Ses racines vietnamiennes, la colonisation, la guerre du Vietnam, il s’en fout. Il est citoyen du monde, et fait de la très bonne littérature avec ça, avec cette abstraction. Mais il n’y a pas de règle pour faire de la bonne littérature. La preuve : le regretté Jacques Chessex – mort le 9 octobre 2009 à Yverdon-Les-Bains alors qu’il défendait, lors d’une conférence, le cas de Roman Polanski – immense romancier suisse, a ancré quasiment toute son oeuvre dans le canton de Vaud, sur une petite partie de terre, sur les hauteurs du lac Léman. Donc proche de Giono par son provincialisme, mais aussi de Georges Bataille, comme on peut le lire dans son dernier roman, Le Dernier Crâne de M. de Sade, qui mêle histoire, érotisme, réflexion sur la mort, sur le désir, sur les femmes, sur Dieu, bref, tous les grands thèmes chers au romancier de Ropraz. Quelques autres écrivains ont fait de très beaux livres aussi en cette rentrée : le très pessimiste Christian Gailly, l’énigmatique Jean-Jacques Schuhl qui revient après dix ans d’absence et son prix Goncourt pour Ingrid Caven, Carlos Liscano, qui, après les romans poignants sur ses longues années d’enfermement en Uruguay, revient avec un texte sur son impuissance à écrire l’ordinaire. Et Jil Silberstein qui évoque dans un livre poétique, Roumanie prison des âmes, le régime totalitaire de Ceausescu.
CINEMA : LES VALEURS SURES
Dans notre numéro de décembre, nous vous avions longuement parlé du chef-d’oeuvre de Coppola, Tetro. Et d’une découverte avec le film magnifique de Soi Cheang, Accident. Ce mois-ci est plus calme, ni claque ni chef-d’oeuvre, mais des valeurs sûres : les frères Coen avec A Serious man oublient leur veine purement comique – qui n’est pas celle où ils excellent le plus -, pour revenir avec une comédie, certes, mais qui ne manque pas de gravité. Le Clint Eastwood, Invictus, sur Mandela, ne déçoit pas, ne tombe pas dans les écueils du biopic. Et enfin, le Jane Campion, Bright Star, film romantique sur le dernier amour du poète anglais Keats, bien meilleur que La Leçon de piano, dont l’horrible et mièvre composition musicale de Michael Nyman – considéré à l’époque comme un petit génie – résonne encore aujourd’hui à nos oreilles comme une offense à la musique classique.
Bonne année culturelle à tous, et merci à vous d’être autant à nous rester fidèles.