Pour ce soixantième numéro et en cette rentrée littéraire, Transfuge lance une nouvelle formule : 16 pages supplémentaires pour accueillir encore plus de textes et d’autres formes d’art inédites au magazine : le théâtre, les séries, le polar, l’art contemporain. Et pour étoffer la partie cinéma qui manquait encore de place, une nouvelle maquette, plus aérée, plus facile à lire, plus identifiable.
Voilà pour le costume, et qu’en est-il de l’esprit du magazine ?
Transfuge ne change pas de visage, mais approfondit ce qu’il y a toujours eu en vigueur. La culture, rien que la culture, y sera défendue encore et toujours. Pas de tournant sociétal comme tant de magazines anciennement culturels qui ne croient plus assez en elle. Pas de promesses de bonheur miracle à vous vendre comme certains qui confondent certainement journalisme et publicité (aujourd’hui le mot « bonheur », me semble-t-il, mot si beau du XVIIIe siècle, a disparu du vocabulaire des hommes, vidé de son sens, pour être pris, l’air de rien, en otage par la chose publicitaire). Non, ici, il s’agira plutôt de lectures chicanières des textes de littérature et images de cinéma, et de tous les autres arts, à la recherche d’artistes contestataires. Je ne vous parle pas ici, bien sûr, de ces hipsters, ces marionnettes du système, ni de ces beautiful people dont il devient chaque jour plus difficile de supporter les frasques et qui n’ont d’intérêt que d’observer (de révéler ?) le grand vide triomphant de notre époque. Non, je veux vous parler d’artistes émergents et frondeurs qui s’escriment, dans l’anonymat ou presque, à mettre en question le conformisme du monde, son conservatisme naturel. D’artistes, anonymes ou presque, énervés contre la falsification étouffante de notre société, son marketing triomphant, en art comme partout ailleurs. D’artistes, anonymes ou presque, répondant à l’injonction de Milan Kundera, comme Mathias Enard ou Julie Otsuka, en couverture ce mois-ci de Transfuge, de réintroduire du « brouillard » dans le réel. D’artistes, anonymes ou presque, qui vomissent sur l’académisme ambiant, cet embourgeoisement de l’art qui ressemble tant à la mort. L’art n’est ici ni psychologie, ni philosophie, ni sociologie, mais une connaissance anarchique, à peine perceptible, cachée dans textes et images, mais bien là, travaillant souterrainement à nous changer, à nous rendre un peu moins bêtes, c’est-à-dire un peu moins dupes, et peut-être libres. L’art est une guerre de sécession, la plus belle à mener selon nous, une guerre totale et quotidienne contre les clichés que la société nous impose, société dévorant si cruellement nos âmes et faisant vieillir nos corps si prématurément. Comme disait Raoul Vaneigem, nous vivons avec une armoire posée sur nous. L’art devrait avoir pour fonction de détruire cette armoire. Transfuge soutient cette tâche gigantesque.
Enfin, un aphorisme de Kafka : « Deux règles pour commencer ta vie : réduire toujours plus ton cercle et vérifier à chaque fois que tu n’es pas caché à l’extérieur de ton cercle » Si cette phrase de la désertion évoque quelque chose pour vous, bienvenue à Transfuge.