Colin aime Chloé et inversement, Colin est riche mais devient pauvre, Chloé est belle mais tombe malade. L’histoire est connue et c’est peu dire que Michel Gondry était attendu au tournant. Le plus grand cinéaste-à-trucs semble s’en donner à coeur joie et trouve dans Vian une mine inépuisable d’idées visuelles, n’ayant même pas besoin de les chercher plus loin que dans le texte. Mais ce serait passer à côté de l’essentiel que de s’arrêter à cette inflation bluffante (et du reste pas) des objets. Car précisément, si le coeur y est, il n’est pas à la joie. D’aspect, L’Ecume des jours est une Science des rêves qui ne dit pas son nom. Mais il ne faut pas négliger l’importance du très beau The We and The I dans le parcours de Michel Gondry. Dans ce film, sorti l’an dernier, le cinéaste mettait en scène un groupe d’adolescents new-yorkais dans un bus scolaire. Au départ, le bus est rempli comme une volière, puis se vide petit à petit pour ne retenir en bout de course que deux élèves, deux particules élémentaires. Le chemin de L’Ecume des jours est le même : par raréfaction, le foisonnement initial se métamorphose en un modèle d’épure de mise en scène en noir et blanc, plus proche de Murnau que de Jean-Pierre Jeunet. Le montage
Le montage sautillant jusqu’à la nausée se repose finalement, et laisse les plans s’exténuer d’eux-mêmes. La scène d’enterrement consiste en une modeste procession, en plan d’ensemble, qu’enveloppe tout à fait une belle brume de lac. Les quelques membres de cette procession apparaissent comme de simples silhouettes, grises sur fond gris. Ceux qui attendent une comédie romantique vont donc être surpris ; le film est d’un roid de glace, l’amour entre Colin et Chloé n’est pas vraiment le souci du réalisateur. Même la profusion visuelle éclatée de la première partie inspire plus d’effroi que de joie. L’ouverture l’annonce : L’Ecume des jours est une histoire écrite à la chaîne, et l’amour est un objet de manufacture comme les autres. La froideur du film, même dans ses couleurs chaudes, tient à l’existence industrielle de ses protagonistes.Ce qui aurait pu ressembler à une émission du Grand Journal, à cause du casting estampillé StudioCanal, devient alors une réunion de figures archétypales, que l’empathie ne peut accrocher. Dans la mesure où le film montre justement cette automatisation des corps et des sentiments, chacun est bien dans son rôle. Malgré la propagande publicitaire, Romain n’est jamais Colin, Audrey jamais Chloé et ainsi de suite. L’identification des acteurs aux personnages ne prend pas, des spectateurs aux acteurs non plus. Michel Gondry, à qui l’on reproche à tort de ne pas s’intéresser aux acteurs, offre une vision cauchemardesque et assez peu comique du phénomène biologique. Les humains, ici, sont en voie de pétrification. Ils ont beau s’agiter,ils ne seront assez vite plus qu’une boîte cabossée, un squelette calciné ou simplement un pantin bicolore, noir et blanc, gris.