Antonin Artaud, excessif, radical, écrivain, à sa façon, de la table rase, nous a servi de point de départ pour le dossier de ce numéro de Transfuge, consacré aux films et aux romans oubliés ou alors voués aux gémonies. « Protestation contre le rétrécissement insensé que l’on impose à l’idée de culture en la réduisant à une sorte d’inconcevable panthéon. » Cette phrase tirée du texte incroyable « Pour en finir avec les chefs-d’oeuvre », (Le Théâtre et son double, 1938) est d’une telle modernité, qu’elle nous sert encore aujourd’hui. Elle nous sert à chaque numéro, ici à Transfuge, pour continuer à nous débattre dans la culture contemporaine, hors panthéon ; cette culture littéraire et cinématographique au sein de laquelle nous tentons de vous donner des repères. Ce numéro, à ce titre, est particulier puisque, comme au mois de décembre de l’année dernière, nous nous retournons vers les classiques. Histoire de faire une pause, une pause hivernale permettant de revenir de près à des textes et des films qui souffrent parfois d’analyses sommaires et impressionnistes. Il était temps donc de refaire un point. Revenir aux classiques ne signifie pas trahir notre ami Antonin Artaud, au contraire. C’est aller certe du côté du panthéon, mais plutôt du côté des caves noires et insalubres, où reposent, semble-t-il, des milliers d’oeuvres d’art qui méritent de sortir des oubliettes.
En effet, combien de romans et de films retenons-nous des écrivains et cinéastes canonisés ? Si peu en vérité. Si tout le monde lit Le Cid, combien d’entre nous ont lu Sertorius ou Suréna ? Lutter contre le rétrécissement de la culture, c’est donc ce que nous avons fait en lisant un Claude Simon méconnu, Le Vent, un Mauriac injustement oublié, Les Anges noirs, un Jack London loin du Grand Nord, Patrouille de pêche, un Robert Penn Warren, connu pour ses Fous du roi et pourtant auteur aussi du très beau L’Esclave libre ; en visionnant un Douglas Sirk de la première période jamais cité par les cinéphiles et pourtant réussis, L’Aveu, ou le mal-aimé Rideau déchiré d’Hitchcock.
Contre tout avis réactionnaire, nous pensons que le panthéon est aisément démantelable. Il est difficile de croire aujourd’hui à des positions fermes dans le domaine esthétique. Artaud le radical, notre contemporain, nous exhorte en fait à la pondération, à un peu plus de perplexité devant les oeuvres d’art. Bref, on déconstruit et reconstruit. En redonnant un peu d’hétérogénéité à nos deux champs de prédilection, la littérature et le cinéma, nous vous offrons un peu de liberté. De cette liberté de choisir ses classiques, défendre ses contemporains dont Transfuge se veut la figure de proue en 2014. Au nom de toute la rédaction, bonne année à tous !