Charlotte Gainsbourg au pays du coït, acte II. Avec le deuxième volet de son Nymphomaniac, Lars von Trier démythifie génialement le sexe et ses codes.
Fallait-il que le trublion danois divise son Nymphomaniac en deux parties ? En nous laissant sur notre faim (allions-nous enfin jouir ?), Lars von Trier nous invitait à conjecturer, à gloser à outrance quitte à prendre nos désirs pour des réalités. Il aura fallu ce volume 2 pour comprendre ce qui le titillait. Loin de tout discours dogmatique sur le sexe, le cinéaste se riait en fait du cinéma, de la philosophie, de la psychanalyse. Il ne cherchait qu’à démystifier les discours et les représentations traditionnelles de la sexualité féminine. Si nous avions ainsi laissé Joe en plein cauchemar, incapable de ressentir quoi que ce soit, nous la retrouvons en prise avec un ronron conjugal ennuyeux. Mais le désir étant toujours intact, Joe choisit de diversifier ses aventures.
Placé sous le signe d’une vie familiale insatisfaisante et d’expériences souvent décevantes, Nympho 2 est un film s’assumant dans sa dimension terne, peu sensationnelle. C’est ce que souligne le visage las, fatigué de Joe/Gainsbourg, loin de la représentation hollywoodienne des héroïnes à la sexualité débridée, toujours glamourisées pour en souligner le caractère extraordinaire, anormal (Basic Instinct). Tout est affadi : dans une chambre, deux Blacks, amants de Joe, s’engueulent entre eux, le sexe en premier plan, tandis qu’ils la palpent comme un objet insignifiant ; la scène attendue (redoutée) de triolisme accouche d’une pochade aussi hilarante que déceptive, la nymphe est chosifiée comme elle le sera au cours de son expérience masochiste ; le SM escompté, avec donjons et cuir plastifié, accouche de séquences brutales, ultra découpées, à la manière d’interrogatoires policiers dans des décors dépouillés, banals, que l’on croirait sortis d’un Derrick. Quand il ne frappe pas Joe, son « tabasseur » s’attarde sur des problématiques concrètes : comment sangler son corps, comment faire un noeud de sang ? Les fantasmes apparaissent dans leur dimension maniaque, pratique, renforçant le caractère non spectaculaire mais aussi le mystère. Résumé à des gros plans sur sa chair meurtrie, le désir de Joe reste insondable.
Toutes les grilles habituelles d’interprétation trahissent leur inanité. Quand Joe tente de s’analyser, elle tombe dans ce qui est un cliché au moins depuis Bataille : l’association orgasme/vision mystique. Ce que LVT traduit littéralement à l’écran : le sexe de Joe brillant entre deux icônes. Par la traduction littérale d’un discours mystique, LVT en montre le risible kitsch. La psychanalyse n’est pas logée à meilleure enseigne. Lors de discussions avec Seligman, LVT met à nu les clichés psy en les traduisant littéralement : les images freudiennes se font métaphores pour les « nuls » (le pistolet comme pénis). Même Joe se moque de la médiocrité des allégories de Seligman.
À force de banalisation des fantasmes comme du corps, la forme du grand film total sur le sexe se dégonfle. Cet aplatissement se traduit par le basculement du film dans des genres « mineurs ». L’oeuvre définitive annoncée, dès l’ouverture du volume 1 avec son bourdonnement électro-acoustique grandiloquent, échoue en feuilleton télé en forme de thriller cheap : Joe, devenue sous-fifre de gangster, initie une môme à la criminalité. Comme si LVT tournait en dérision son propre projet, savait qu’il ne pouvait aboutir. Au terme de ce génial film-critique, tout s’achève donc sur un écran noir. C’est peut-être ça la seule chose à montrer pour ce sceptique de LVT : le désir comme une béance infilmable. Mais avant d’y arriver, il aura réussi à accoucher du personnage de Joe. Sublime création, sa plus belle héroïne : une femme enfin affranchie des procédés sociaux, artistiques, intellectuels, qui ont toujours fait de la sexualité de ces dames une monstruosité. Ici, LVT est plutôt du côté des femmes.