Quoi de plus contrariant qu’une lecture dont on ressort aussi frustré qu’enthousiasmé, de surcroît pour la même raison ? Pourtant l’idée était excellente.
L’auteur a choisi de mettre en exergue l’instant de crise où l’artiste, dont la reconnaissance peine à s’imposer, s’interroge douloureusement : a-t-il raison de s’entêter à peindre, au risque de tout perdre ? Ne devrait-il pas plutôt y renoncer ? Bertrand Leclair part de l’hypothèse que Paul Gauguin a lui aussi connu ce « vertige du doute », à Copenhague en 1885, lorsque revenu auprès de sa femme et de leurs cinq enfants, il peint « le tout premier d’une longue série d’autoportraits ». Même s’il ne cache pas qu’il ne s’agit que de conjectures : « Ce genre de question ne s’invite jamais dans sa correspondance ».
En se basant sur des faits réels, l’auteur brode, imagine les tourments de l’artiste et nous en offre un récit saisissant. La voix du narrateur à la troisième personne s’entortille autour de celle de Paul Gauguin, dont les lettres sont citées abondamment, entre en écho avec elle, s’y love, dans un envoûtant duo. C’est évidemment un prétexte à une réflexion passionnante sur la création artistique et la définition du génie. Mais cette voix au style un peu précieux, qui souvent dit « je », prend le dessus, tend à étouffer celle de l’artiste, à mettre le narrateur sur le devant de la scène, avec des pensées personnelles, des citations littéraires qui en disent davantage sur lui que sur Gauguin lui-même. Grande fut la tentation de jouer à l’autoportrait.