Comme son titre l’indique, le temps est au coeur de Passé imparfait : ce long roman traite de l’irruption d’un passé lointain et fantasmé dans un présent dégradé. Après une rupture de quarante ans, le narrateur, écrivain de moyenne envergure, est mandaté par son ami de jeunesse Damian Baxter pour retrouver son enfant illégitime. Cet enfant est celui qu’il aurait pu avoir de l’une de ses innombrables conquêtes quarante ans plus tôt. Damian est entre temps devenu milliardaire, et c’est à l’article de la mort qu’il revient vers son ancien ami d’université afin de faire de lui son exécuteur testamentaire. Cette quête est l’occasion pour le protagoniste de se replonger dans la Saison des Débutantes de 1969. Et de reparcourir les événements mystérieux qui ont fait de Damian Baxter son plus grand ennemi.
Le roman se présente comme un lent dévoilement de la relation entre le narrateur et son mandataire au fur et à mesure des rencontres avec les actrices de leur passé commun. C’est aussi un roman de la nostalgie, de la décrépitude que le temps apporte immanquablement aux corps. C’est un très baroque memento mori égayé par le second degré et le cynisme très british que Julian Fellowes distille tout au long de son récit.
Celui-ci nous donne à lire un aspect confidentiel de la Swinging London des Sixties : ce sont les derniers feux de l’aristocratie, les derniers soubresauts d’une époque que symbolise la queue de pie, c’est encore le temps des bals et le souvenir de la cérémonie de présentation des Débutantes à la reine n’est pas loin. Dans ce contexte évoluent le narrateur et Damian, et le premier décrit l’habileté sociale du second, qui malgré sa roture séduit et fascine cette classe sociale apparemment aveuglée par la fortune et la naissance. Ce parcours de Damian Baxter est symptomatique du déplacement du pouvoir vers la City, qui a laissé sur le carreau des dizaines de grandes familles n’ayant pas su voir la transformation des temps.
La fascination de l’auteur, par ailleurs créateur de Downtown Abbey et auteur de Snobs, pour cette haute société anglaise est constante et palpable. Le rythme très lent adopté par le narrateur fait la part belle à la digression et à la méditation autour des usages de cette classe disparue. Il dresse en 650 pages un portrait très complet de cette micro-société avec des considérations autant sur la géographie sociale londonienne que sur l’histoire familiale des personnages, tout cela agrémenté d’un ton ironique, voire sarcastique. Le suspense de la quête n’est qu’un alibi pour une réflexion bien plus existentielle, touchant la question de la mutation des sociétés dans le temps de la vie d’un individu et les errements de la mémoire.
Julian Fellowes, Passé imparfait, traduction Jean Szlamowicz, Sonatine, 649 p., 22€.