L’excitation des prix littéraires est tombée. Et un goût amer nous reste. À quoi bon ce remue-ménage, franchement ? Comme l’écrivait Léautaud à propos des écrivains obsédés (déjà) par les prix littéraires : « Être ainsi, comme un bon élève, qui a bien travaillé, et à qui l’on donne une récompense. » Difficile devant tant de mascarade de ne pas approuver le solitaire diariste. De grogner un peu avec lui. Alors on se console, on fuit, on ouvre, on rouvre les classiques. Pour notre plus grande joie.
Au moins deux livres en cette fin d’année ont attiré notre attention, et un coffret.
D’abord ce livre extraordinaire pour les lecteurs d’Antonin Artaud, Artaud et l’Asile (Séguier), de Laurent Danchin et André Roumieux. C’est une réédition augmentée, corrigée, d’un livre paru en 1996, une véritable enquête, sur près de huit cents pages, à laquelle se sont consacrés les deux auteurs. Une enquête qui, pour la première fois, permet de reconstituer l’intégralité du dossier médical d’Artaud. Rien de plus justifié pour cet anarchiste dont la maladie traversa violemment toute sa vie et toute son oeuvre. Rappelons que dès 1925, dans sa correspondance avec l’académique Jacques Rivière, il parle de sa maladie de l’esprit, plus que de littérature qu’il exècre à sa manière. Le livre traite de la période qui court de 1937, date où il se fait arrêter à Dublin en plein délire, et où il se fait interner à l’hôpital psychiatrique de Quatre- Mares à Sotteville-lès-Rouen puis à Sainte-Anne, à 1943, année où il se fait transférer à Rodez, où il subira cinquante-huit électrochocs. Toutes les archives du psychiatre de Rodez Gaston Ferdière ont été exhumées. Ce qui donne à voir le quotidien morne, répétitif d’Artaud sur cette période. Le mérite du livre est de dépouiller Artaud de l’aura romantique qui l’a entouré toute sa vie. Il est montré à nu, souffrant comme une bête.
Dans un tout autre genre, pour les passionnés de récits d’aventures, paraît pour la première fois le journal in extenso d’un des plus grands explorateurs de la fin du xixe siècle, le Norvégien Fridtjof Nansen. Lecteurs de Jack London, vous devriez apprécier ce Vers le pôle (éditions Paulsen), récit de ce voyage extraordinaire. Tentative d’atteindre le pôle Nord en traversant l’Arctique alors que personne n’y était jamais parvenu. Le bateau, le Fram, partira le 23 juin 1893 de Norvège, avec Nansen, un scientifique et un équipage de douze personnes. Il s’agira d’un étrange voyage immobile sur la banquise…
Enfin, un magnifique coffret consacré à Harold Lloyd (Carlotta) sera disponible pour Noël. Ce qui n’est que justice rendue à ce réalisateur burlesque, cet acteur aux lunettes d’écaille s’accrochant à la pendule d’un building, qui marqua les années muettes du cinéma, et malheureusement oublié au profit de Chaplin et de Keaton. Nous tentons de le réhabiliter dans ces pages.
Bonne fin d’année à toutes et à tous.