Nous avons beaucoup hésité avant de mettre Adonis en couverture. Il sort deux livres, passionnants l’un et l’autre, un de poésie, Le Livre III (al-Kitâb), l’autre politique, Violence et islam. Transfuge est un des rares magazines à suivre de près la littérature arabe. Au cours des dernières années, nous avons interviewé le poète palestinien Mahmoud Darwich (dont nous reparlerons d’ailleurs le mois prochain), fait notre couverture sur le grand romancier égyptien Gamal Ghitany, défendu longuement Alaa al-Aswany, donné la parole il y a quelques mois à l’éditeur de la collection Sindbad d’Actes Sud, Farouk Mardam-Bey, afin qu’il nous révèle les différentes tendances de la littérature arabe contemporaine. Et en 2009, nous rencontrions une première fois Adonis à Paris où il habite depuis 1985, pour son ouvrage Le Regard d’Orphée, livres d’entretiens où il revenait sur sa biographie. Pas le genre ici à stigmatiser l’islam dès que possible, nous l’avons prouvé au cours des ans. Il n’en demeure pas moins que lorsque celui qui est considéré comme le plus grand poète arabe vivant (il est celui qui à travers la revue Shi’r introduisit le poème en prose contre la métrique arabe classique), celui qui depuis des années est inscrit sur la liste du prix Nobel de littérature, dégaine un livre de colère contre l’islam, on ne le passe pas sous silence. Rien dont on ne puisse parler dans ces colonnes. Surtout quand Adonis, contrairement à un Houellebecq, s’attaque à l’islam du point de vue du féminisme et de la laïcité, et non sur l’idée du grand remplacement. Au-delà de la rivalité qui court dans les médias entre bien-pensants et réactionnaires, le poète chiite syrolibanais Adonis analyse, scrute, décortique avec une grande connaissance le Coran et le monde arabe d’aujourd’hui, à l’aide de la psychanalyste Houria Abdelouahed, brillante bourdieusienne et bataillienne. Le constat est pour lui, pour eux, sans appel et il fait froid dans le dos : la violence est intrinsèque à l’islam, et prend sa source dans le Coran : « C’est un texte extrêmement violent. J’ai compté quatre-vingts versets sur la Géhenne (l’enfer). […] Le kufr (mécréance) et ses dérivés figurent dans cinq cent dix-huit versets, le supplice et ses dérivés font l’objet de plus de trois cent soixante-dix versets. Sur trois mille versets, cinq cent dix-huit portent sur le châtiment. » Il donne un exemple de verset consacré aux mécréants : « Nous jetterons bientôt dans le Feu […] ceux qui ne croient pas à nos Signes. Chaque fois que leur peau sera consumée, nous leur en donnerons une autre afin qu’ils goûtent le châtiment. » Adonis donne d’autres exemples, très nombreux, sur le rapport de l’islam aux femmes. Là encore, le Coran est intraitable. Un verset parmi tant d’autres : « Si elles montrent une indocilité, reléguez-les dans des chambres à part, et battez-les. » Vous allez me dire oui, mais c’est le texte, mais qu’en est-il des sociétés arabes d’aujourd’hui ? Là encore, le constat est affligeant. Ces sociétés religieuses n’auraient pas évolué depuis le début de l’islam. Houria Abdelouahed se rend compte que les mots misogynie, machisme ou sexisme n’existent pas en arabe. De quoi faire plaisir à Zemmour. Pour Adonis, « la mentalité de l’homme musulman et arabe demeure profondément religieuse. Sa structure mentale et psychique est religieuse. Elle est empreinte de domination, de pouvoir et d’emprise. La femme se trouve dans cet engrenage sans véritable issue. » Pour ce défenseur du Femen, ce poète qui écrit que l’univers est féminité, la honte absolue de l’islam est la manière dont cette religion, encore aujourd’hui, peut-être encore plus aujourd’hui, traite les femmes, qui ne sont, comme le dit la phrase que nous avons choisie sur notre couv, « qu’un sexe ».
Une seule solution selon Adonis pour sortir de ce dangereux islam : séparer l’État de la religion. Créer non plus des musulmans, mais des citoyens. « Tant que la religion va de pair avec le pouvoir », écrit-il, tant que la religion musulmane est institutionnalisée, c’est-à-dire dans la sphère publique, aucun progrès ne sera possible. Et dans aucun pays arabe cette séparation n’existe. Premières victimes ? On l’aura compris, les femmes. Le scandale pour Adonis est avant tout cet « assassinat » symbolique ou réel des femmes dans l’islam. Daech, à ce titre, est pour l’auteur non une rupture, mais bien une continuité, certes monstrueuse, de ce qui existe dans le Coran. Il y a cependant deux raisons d’espérer : la violence extrême de Daech pourrait mettre fin à des siècles de règne islamique. Il pourrait y avoir une prise de conscience des Arabes de la dangerosité de l’interprétation littérale du Coran et des conséquences monstrueuses qu’elle peut engendrer. La deuxième raison est liée à la première : selon Adonis toujours, la nouvelle génération arabe est laïque. Elle aimerait entrer dans la modernité et y entrerait si les dictatures dans lesquelles elle vit ne l’en empêchaient.
Pour finir, Adonis se définit comme un cosmopolite. Écoutez-le : « Je suis comme un arbre dont les racines auraient poussé de tous les côtés et dont les branches se déploieraient sur toutes les portes, dans toutes les directions, y compris vers l’Europe. […] Mon engagement est civilisationnel. Il est fondé sur un métissage humain et culturel. » Sa poésie se nourrit de mythologie grecque, arabe, de poètes français. Il est le contraire des réactionnaires à la Finkielkraut obsédés par le repli identitaire, et de l’islam tel qu’il le définit dans cet ouvrage-bombe