Buenos Aires, années soixante. Luisa, la trentaine, survit comme elle peut, après la mort de son frère et de son mari dans un accident de voiture. Cette mère de famille revient petit à petit à la vie, notamment à travers une rencontre avec un homme, Ernesto, la cinquantaine, qui va beaucoup la troubler.
Le troisième long métrage d’Ariel Rotter se construit sur une perte, une absence à combler : comment remplacer les pièces manquantes du puzzle familial ? Une question que le film pose dans un noir et blanc directement emprunté à des photos de famille du réalisateur. Des photos qui l’ont intrigué dans son enfance et où figuraient deux personnes disparues dans des conditions que nul ne souhaitait évoquer. Comme si Un homme charmant était une réponse à cette lacune.
Reste qu’on ne remplit jamais facilement les vides. Certes, Luisa ouvre son intimité à Ernesto, le présente à sa mère et à ses filles. Mais elle est réticente à lui accorder le statut qu’il cherche, celui de mari, et donc de père, de substitution. À peine quelques jours après leur rencontre, il sonne sans hésiter à la porte de son appartement. Irritation de Luisa. Plus tard, après lui avoir raconté le drame qui a récemment endeuillé sa famille, elle franchit un nouveau pas, celui des relations sexuelles. Mais c’est pour reprocher par la suite à Ernesto de vouloir officialiser leur couple. Si pour les grand-mères l’homme est un bon parti, Luisa voit d’un mauvais oeil sa manière de brûler les étapes. Y décèle une intrusion agressive. Quant au spectateur, il demeure dans l’incertitude : Ernesto est une énigme. Un personnage insaisissable tout aulong du film. Difficile de lui reprocherde vouloir manifester ses sentimentsenvers Luisa, de vouloir se construireune famille, d’autant plus qu’il déploreavoir jadis laissé passer sa chance. Maisn’est-il quand même pas trop pressantpour être honnête ? Lisa n’est pasbeaucoup plus simple à appréhender,tant sa méfiance apparemment légitimeenvers Ernesto pourrait bien n’êtrequ’une excuse pour ne pas « tournerla page » de son amour passé.
Cette oscillation entre l’ouverture à l’autre et le rejet, entre l’acceptation etl’expulsion, ne définit pas seulementla dynamique cont radictoi re,parfois douloureuse, qui préside à larecomposition d’une famille. Elle donneaussi tout son sens à un élément-clé dulangage du cinéma : le cadre. C’estlui qui résume les enjeux d’Un hommecharmant. Car, à mesure que progresseleur relation, partager le cadre, pourErnesto et Luisa, signifie pour l’unprendre la place qu’il pense mériteret pour l’autre accepter ou non de luiaccorder cette place. Un homme charmantrappelle que sur le grand écran, lesémotions et les sensations, les élans du coeur et de l’esprit ne s’incarnent pas seulement dans les visages et les corps des acteurs. Mais aussi dans ces quatre lignes qui enserrent l’image. Le cinéma ou la géométrie des sentiments.