Deuxième film de Nicolas Winding Refn, Bleeder, tourné en 1999 au Danemark avec l’essentiel du casting de Pusher (1996), son succès inaugural, n’est pas seulement une friandise pour les geeks de Refn. C’est un portrait de groupe dessiné avec tendresse et cruauté. Celui de vieux camarades d’un quartier pauvre de Copenhague, qui partagent le même ennui. Au centre, un couple : Léo (Kim Bodnia, tout en tension contenue) et Louise (Rikke Louise Andersson).
Couple en crise pour diverses raisons dont une de taille : la grossesse de Louise. Miné par la frustration, Léo refuse de donner naissance à un fils dans un monde où, pour des gens comme eux, rêves et ambitions sont hors de portée. Son pote Lenny (Mads Mikkelsen, déjà génial dans l’un de ses tout premiers rôles) est un employé de vidéoclub ne vivant que par l’intermédiaire des films. Tombé sous le charme de Léa (Liv Corfixen, future épouse du cinéaste), une cliente travaillant dans un snack-bar du coin, il se montre incapable de franchir le pas décisif. La preuve : il parvient contre toute attente à obtenir d’elle un rendezvous auquel il ne se rend finalement pas. Louis enfin (Levino Jensen), videur de boîte de nuit aux tendances xénophobes, est le frère aîné de Louise. On suit tout ce petit monde au fil de scènes déroulant un quotidien morne, mais où couve pourtant la menace d’une explosion prochaine, où se profile un point de rupture, tant Léo commence à perdre pied…
Loin de la sophistication de ses derniers films américains, l’image de Bleeder se voulait encore brute, comme réalisée à l’arrache, mettant à nu un style en pleine élaboration. Pourtant, on y décelait déjà l’attrait du cinéaste pour le plan moyen, tandis que le jeu savant sur la profondeur de champ permettait de saisir toute la complexité d’une scène. Ainsi, les gestes d’un personnage au premier plan n’empêchent pas de garder l’oeil sur son interlocuteur au fond de la pièce. Cette sortie de Bleeder, cinq mois seulement après The Neon Demon (dernier film en date de NWR, qui sort en DVD ce même 26 octobre), permet ainsi de relever la réelle cohérence d’une oeuvre. Dans chaque film du cinéaste, l’homme est un loup pour l’homme. Les lois d’un milieu, qu’il s’agisse des quartiers pauvres comme des défilés la mode, obéissent à un même principe : la dévoration. L’implosion. L’amitié virile des gars de Bleeder et la rivalité des jeunes mannequins anorexiques de The Neon Demon sont les deux faces d’une même pièce. Mais la désagrégation violente d’un microcosme est toujours précédée de longs préliminaires. C’est ça qui intéresse Winding Refn : le temps d’avant le passage à l’acte. Léo et Louis, unis par une même femme, Louise, diffèrent longtemps leur affrontement sanglant. Même retard dans un autre registre, celui de l’amour : Lenny recule indéfiniment jusqu’au moment où il sautera le pas avec la belle Léa dans une scène d’un romantisme désarmant. Happy end tout relatif certes, mais d’autant plus marquant qu’il sera le seul du cinéma de Refn.