Le président Kennedy vient d’être assassiné. Son épouse Jackie, aux premières loges comme on sait, a été poussée dans l’avion qui exfiltre le cadavre, arche aussitôt affrétée au cas où le drame de Dallas serait l’épisode 1 du déluge. Parmi les huiles de l’administration américaine erre la jeune veuve hébétée, sa robe rose Chanel encore tachée, qu’elle gardera longtemps sur elle (et pourquoi au juste?). En pleurs devant la glace, elle essuie son visage maculé de sang et de bouts de cervelle. Dégradée en troisième rôle de l’hénaurme affaire en cours, elle assiste passivement à l’investiture dans l’avion même du numéro 2 Lyndon Johnson, dont nul alors n’est censé savoir, et le film requis par d’autres enjeux n’en dira rien, qu’il a ourdi le complot avec des pétroliers texans. Elle comprend à ce moment que le pouvoir lui est retiré, qu’une première dame n’est plus rien lorsque le premier homme n’est plus, qu’elle devra évacuer la Maison Blanche avec dans les bras sa penderie et ses enfants qui trop jeunes ne pigent rien à tout ce raffut. Mais dans un dernier élan souverain, l’altière s’enquiert des obsèques, les voudrait à la hauteur de celles de Lincoln, passera outre les consignes de sécurité qu’imposent ces temps troublés pour qu’elles soient précédées d’une procession, comme il s’en organise pour célébrer les dieux.
Jackie donne suffisamment le change à l’attente hagiographique pour se raconter ainsi. Il s’en trouvera beaucoup, en février, pour se le raconter ainsi. Les mêmes sans doute qui jadis écoutaient sans rire, voire en pleurant, Frédéric Mitterrand psalmodier les destins tragiques de nos chères étoiles d’autant plus brillantes que disparues. Étoiles oscillant invariablement entre le jour et la nuit, entre scènes surexposées et zones d’ombre, et dont les accès de sublime rachetaient les bassesses trop humaines. Demidieux exceptés de la moralité ordinaire. La foudre de la tragédie, en s’abattant sur Jackie, lui offre l’occasion du sublime. Elle ne peut pas louper ça.
Oui, du film, on pourra ne retirer que l’écume de conte de fées ; n’en tirer que cette pulpe pure. A ceci près que c’est Pablo Larraín qui le réalise, et que Pablo Larraín, comme tous les grands, comme le Soderbergh chilien qu’il est en train de devenir, est un cinéaste de l’impur. Le présent texte est parti sur des bases mensongères, honni soit son auteur : le film ne commence pas par le drame, mais par installer, sur la terrasse de la maison familiale à colonnades, l’entretien que Jackie donne une semaine après ledit drame, et qui ordonnera le récit par touches. Dispositif très usité, et qui n’est en général qu’une coquetterie formelle, un simple tremplin pour fragmenter la narration, et la libérer d’une fastidieuse linéarité. Ici le tremplin est le sujet, comme on dit que le medium est le message. Non pas les faits en soi – il n’y a pas de faits en soi – mais la façon dont Jackie les raconte, et la façon dont l’homme de plume face à elle racontera ce qu’elle lui raconte.
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