Sur l’île de Mindanao au Sud des Philippines, plusieurs conflits sont la cause depuis cinquante ans de près de 140 000 morts : des hostilités entre clans, ethnies et entre l’armée nationale et les séparatistes islamistes. Dans Les Femmes de la rivière qui pleure, le réalisateur Sharon Dayoc, originaire de la région et dont le père fut militaire sur l’île, parle en particulier de la guerre qui se joue entre deux familles paysannes musulmanes pour des terres qu’elles proclament chacune être les leurs. Mais à travers cette situation particulière sont révélés les autres drames du pays. Le réalisateur parvient à composer une narration en fragments, avec une cohérence qui rend la terreur et la fragilité de la situation dans cette partie des Philippines profondément tangibles.
Satra est veuve, son mari ayant été assassiné par la famille Ismaël, habitant de l’autre côté de la rivière. Elle vit isolée avec parents, frères et fils au milieu de la forêt. Dès que les personnages sortent du territoire de leur maison, la menace semble renaître, les encercler, comme si cette hostilité entre les deux familles n’était qu’une partie infime de la violence qui sourde partout dans l’air, donnant la sensation que l’île est frappée par un sort. Personne n’est en effet coupable et personne n’est non plus innocent, la famille de Satra ayant elle-même tué un des fils des Ismaël. Pourtant, rien ne permet de les juger, d’être en colère devant ces êtres humains qui semblent guidés par une force maléfique et ancestrale. À travers la répétition des scènes de prière à Allah se profile néanmoins une critique de la religion comme auxiliaire de la vengeance humaine.
Le paysage même semble accompagner cette violence d’une apparence étouffante – une jungle où on perd ses repères – ou hostile – la rivière aux forts courants et de hauts plateaux désertiques devenant abstraits lorsque des hommes armés y patrouillent comme s’avançant vers le néant. Cependant, cette nature offre un horizon plus vaste que celui de la maison, où les hommes paraissent confinés, se préparant à une attaque, priant, achetant des armes, tandis que les femmes sortent, travaillent la terre et surtout parlent et se confrontent au dehors.
On le comprend, la violence n’est jamais montrée de manière frontale, elle demeure un élément palpable, mais non concret. Jamais on ne voit ceux qui la commettent, mais seulement ceux qui en sont victimes. Cette ellipse de l’action entraîne le film vers une dimension parfois proche de l’irréel et de l’onirisme qui rend plus bouleversante encore la douleur que la violence engendre. De cette manière, Sheron Dayoc ne joue pas le jeu de beaucoup de films qui prétendent remettre en cause la violence tout en la représentant. Par le rêve, il la dépasse.